vendredi 20 janvier 2012

The Dead Flag Blues, Godspeed you! Black Emperor, 5 morceaux des années 90 (2/5)


The dead flag bluesGodspeed You! Black Emperor

Novateur, révolutionnaire, inégalable... les synonymes pour décrire le groupe de post rock Godspeed you! Sont facile à trouver. Le groupe le plus surprenant de ces 15 dernières années sans conteste possible sortait il y a 14 ans sortait leur premier cd avec en ouverture le lancement d'un brulot dans le monde du post rock et de la musique en général, The Dead Flag Blues.

The dead flag blues est le premier morceau du premier LP de Godspeed You! Black Emperor alors paru en 1997 qui répondait au nom étrange de  « f♯a♯∞ » (Fa dièse La dièse infini). C'est aussi le plus accessible grâce à sa durée plutôt modérée (16:24min) et à sa claire lisibilité.
Il faut d'abord savoir que Godspeed You! Black Emperor est un groupe ouvertement anticapitaliste. Aucun des membres du groupe ne participe à des interview excepté le présumé leader Efrim Menuck. Et lorsque celui ci prend la parole c'est uniquement pour expliquer les actions auxquelles ils participent. Cet activisme s'entend bien évidemment dans leur musique. Comme une norme, la musique de Godspeed You! se doit d'être engagée.
The Dead Flag Blues ne fait pas exception à la règle, c'est sans doute même leur morceau le plus explicite par rapport à leur engagement politique.
En effet le morceau commence par un premier mouvement des plus direct : dès les premières secondes, une voix (celle de Menuck) fait son apparition et narre de manière imagée (?) le monde victime du capitalisme et de la corruption (« The government is corrupt And we're on so many drugs »). De manière parlée et claire, sa voix grave accompagnée d'un violoncelle et d'un alto, conte comment le monde d'abord trainé dans la bout par le libéralisme connaitra une fin à laquelle il ne peut échapper. Ils imaginent alors la Terre mis à feu et à sang, des carnages orchestrés par le monde des finances (« We're trapped in the belly of this horrible machine / And the machine is bleeding to death ») . Ils accusent aussi violemment les « tares » de notre société:  la spéculation, l'encastrement des rapports sociaux dans les marchés, la mondialisation...
Pendant 2min45, Efrim Menuck fait en quelque sorte la fiche de présentation de son groupe. Je rappelle que c'est la première fois qu'un CD de Godspeed You! est mis en vente; ils ont soigneusement mis en place la première impression qu'ils voulaient donner à leur auditeurs.

Cependant, durant la triste mais magnifique description de la fin du monde, Efrim n'oublie pas ce qui fait le liant de son texte: l'espoir.
À la fin de son discours il nous dit que rien n'est inéluctable, et c'est justement ce point qui fait la richesse de la première partie. En effet, l'espoir ici est d'abord représenté dans le premier mouvement par le rappel des sentiments humains réciproques que sont l'amitié, la solidarité et l'amour (I said kiss me, you're beautiful […] You grabbed my hand [...]) et par les notes de guitare jouées très haut et en majeur qui apparaissent de manière éparse se mêlant à la ligne de violoncelle durant le deuxième mouvement. Ce violoncelle, justement, qui illustre le bourbier instable en forme de valse dans lequel nous mènent politiciens, trader et autre médiacrates, ceux-la même qui envoient les derniers restes d'humanisme se perdre dans les caves sans morale ni éthique des maîtres du monde.
Lors du deuxième mouvement la voix s'est tue et laisse désormais place à un quatuor à corde accompagné d'une sobre ligne de basse.
La signification de ce passage est très claire: c'est la fin du monde. Rien que ça! Nous sommes alors en mineur. Le ton est grave, mélancolique et sombre. Ce mouvement vient ainsi souligner de belle manière le discours d'ouverture.
A la sixième minute, Efrim Menuck reprend la parole pour quatre courtes phrases. Les instruments ont stoppé leur triste litanie et laisse place au nouveau constat de Menuck: le monde, même bouleversé, est condamné à la décadence (We woke up one morning and fell a little further down)
Les sept premières minutes de The Dead Flag Blues sont pessimistes, désespérées mais d'une grâce absolument désarmante.
Le troisième mouvement est de loin le plus abstrait. Pendant presque 3 minutes des nappes éléctros se superposent. Aucune mélodie n'est présente. C'est durant ce passage que l'on entend pour la première fois une rame de train qui deviendra par la suite un sujet récurrent chez Godspeed You!. La fonction de ce passage est simple : après la catastrophe, les choses se remettent en mouvement. Les éléments rescapés de la fin du deuxième mouvement (amitié, solidarité et amour) peuvent alors tenter de renaître. Du néant sans harmonie réapparaissent certaines valeurs/normes.
Ces trois minutes sont extrêmement intéressantes: chaque élément sonore est au service de la mise en scène audio. Rien n'est là au hasard. Chaque piste se réfère à un objet concret vivant.
En plus d'être déjà remarquable sur la forme, le contenu tranchant est saisissant.
En effet le troisième mouvement vient s'éteindre de manière molle au pied d'une ligne de basse solide. Une ligne de basse de quatre notes et rien d'autre. Puis s'ajoute un arpège de guitare et lentement le monde se reconstruit. Et pour la première fois une batterie arrive et une section rythmique est complète dans un morceau de Godspeed You!. C'est une charpente solide, une sorte de renouveau. C'est ici que ce trouve le contraste le plus intéressant: alors que le troisième mouvement n'est qu'accumulation de sons, de bruits sans liant solide et apparemment sans logique le quatrième mouvement est à l'opposé de cet idéal musical, il est construit.
Très vite une deuxième ligne de guitare se rajoute. Cette lead guitare joue en majeur. Ce qui est également un autre élément de contraste. Le ton est désormais clair et lumineux.
Les restes d'humanismes pourraient finalement renaître.
En réalité ce morceau est simple. Deux parties. Une négative de 10 minutes et une plutôt positive de plus de 6 minutes.
Simple non?
La pochette du premier album de Godspeed!
  Bref, le quatrième mouvement nous donne l'impression qu'un lieu solide où peut s'épanouir et grandir l'humanisme (encore présent) est en construction. Cette structure solide est amenée par une formation classique, renforçant peut être ainsi la confiance en l'espoir apportée par cette partie.Les pistes sont plutôt simples, exceptée celle de la lead guitare qui suit un thème complexe. Un peu à l'image du morceau d'ouverture du premier cd d'Islands (un autre groupe canadien), Swan: où la technique se sacrifie au service de la beauté.
Le quatrième mouvement prend fin comme il est apparu: en s'évanouissant. Ainsi vers la quatorzième minute une espèce de fade-out met un terme à la phase de reconstruction.
S'ensuit un blanc de 10 seconde.
Finalement le cinquième mouvement s'enclenche par l'arrivée d'un violon qui est suivie par deux guitares. Les guitares accompagnent le violon dans sa course. Le rythme est tempéré et équilibré. De plus les instruments jouent toujours en majeur, le ton est maintenant gai et léger. Ce cinquième mouvement qui est appelé The Dead Flag Blues outro, conclu de manière enjoué un début de morceau ultra pessimiste. Il est la fin logique d'une lente transformation vers la société idéalisée.
Enfin ce dernier passage est le plus accessible de tous et il deviendra même un des morceaux préféré des fans de Godspeed You!. Il sera d'ailleurs souvent repris durant leur concert et même tellement modifié qu'au final il deviendra un morceau à part entière.
The Dead Flag Blues est le parfait morceau d'introduction pour pénétrer dans l'œuvre immense de Godspeed You! Black Emperor. Déjà, dans ce morceau d'ouverture, on décèle tout le génie qui sera plus tard mis en œuvre sur leur deuxième cd Lift Up Your Skinny Fist Like Antennas To Heaven.
Like Antennas to Heaven propulsera Godspeed You! au club très select des meilleurs groupes du monde. The Dead Flag Blues est le lumineux croquis à l'origine de l'événement musical le plus important de ces 20 dernières années.

Première parution dans le "pasteur déchaîné" novembre 2011

2 commentaires:

  1. Coup de chapeau, même si je prend pas de plaisir particulier à écouter cet extrait. L'écriture est fluide et naturel, et le texte bien structuré! vivement le prochain :).

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  2. Que dire... Tu arrive à nous emmener au coté d'Efrim Menuck, de nous faire voyager dans son monde et de nous l'expliquer, nous le faire aimé! Merci pour la découverte de ce morceau et un merci plus ancien pour le jour ou tu m'as fait découvrir ce groupe et tant d'autre. ;)

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