L'action
se déroule fin juillet 2012
Le
chant n'est pas mon point fort... c'est un de mes très grands
regrets. Chanter juste est un rêve. Mais d'après mes expériences
passées cela risque de le rester encore quelque temps.
Je
me souviens, en toute première année de guitare, mon prof m'avait
demandé de reproduire à la voix une suite de notes qu'il faisait à
la guitare. Je m’exécutai. S’ensuivirent dix très longues
secondes où je m'entendais m'enfoncer un peu plus chaque instant.
Rouge, transpirant et honteux je continuais...
Le
calvaire se termine. Je fixe mon prof qui lui a la tête baissée et
le sourire crispé. Il murmure tout bas « ...ouais...ouais... »,
Il relève la tête et en serrant les dents me dit très gentiment
« ta voix n'est pas encore totalement posée ».
Merci.
Il
y a cette autre fois en classe de troisième. Sauf que là, j'étais
en train de muer. Le prof de musique, un peu fou, un peu sympa et
très sévère derrière son piano, a un jour eu l'idée de me faire
chanter seul devant la classe. C'était un gospel du nom de
« Freedom ». Sous les rires lâches de la moitié de la
classe et les expressions emplies de pitié et de compassion de
l'autre moitié, je me lançai. Aujourd'hui encore, je n'ai pas
oublié ce moment. Il m'arrive parfois aujourd'hui de me lever en
sursaut dans la nuit paniqué. Je voudrais oublier ces 2 minutes.
Ce
prof de musique, au moment de ma prestation avait porté son point à
sa bouche et fixait sans broncher son pupitre. À un moment, il ferma
les yeux et se gratta le menton : il était en pleine
concentration. Je fini la partie qu'il m'avait indiqué. Il resta
silencieux. La classe entière retenait sa respiration, seul un bon
ami assis tout au fond de la salle dans la rangée du milieu
n'arrivait pas à réprimer son fou rire. La tête dans ses bras, le
corps écroulé sur la table, il ne put retenir ses rires. Et même
lorsque le prof lui mit quatre heures de colle il ne pouvait
s’arrêter. Je retournai à ma place (à côté de lui justement)
et lui mis un coup de coude dans les côtes. Il était irrécupérable.
Le
prof ne fit chanter personne d'autre cette année-là.
C'est
pourquoi je suis constamment frustré lorsque j’entends quelqu'un
chanter juste. J'aimerais tellement faire pareil.
Bref,
dans le rock, il y a le défi de la plus belle voix. C'est un
concours sans fin, mais un concours auquel tous les musiciens
participent. C'est le plus complet, le plus beau et ce qui le rend
encore meilleur, c'est que ce n'est jamais le même gagnant suivant
l'époque.
La
couronne de la plus belle voix a sans doute appartenu un temps à
Elvis Presley. Le grand public a ensuite adoubé Freddy Mercury sans
oublier les fantastiques Marvin Gaye et Roy Orbison. Combien de
vainqueurs ? Combien de prétendants ? Son accessibilité
fait également partie de la beauté de cette musique.
Mais
moi, mon champion récurrent c'est Scott Walker.
En
1969 Walker sortait son quatrième album en solo. À cette époque il
est connu et reconnu et connaît donc un grand succès public.
Pourtant ce cd, nommé sobrement Scott
4,
va faire un four (lol!) monumental et Scott Walker sera envoyé dans
l'anonymat pendant quelques années avant de revenir pour le meilleur
et pour le pire.
J'ai
envie de dire « évidemment », Scott
4 est
considéré aujourd'hui comme son meilleur album. De toutes ses
créations, Scott
4 est
la plus aboutie, composée de très beaux arrangements pop baroques
servis par une voix incroyable.
La
recette fait mouche tout au long des dix titres qui composent ce cd.
On
dit que l'on mesure la force d'un cd par l'influence qu'il a dans le
futur. De The divine Comedy à Arcade Fire, tous ont une filiation
certaine avec Scott Walker et son fameux Scott
4.
D'ailleurs la voix, et le physique (!) de Neil Hannon ressemble
fortement à celle de Scott. Un mimétisme revendiqué.
Longtemps
j'ai considéré Scott Walker comme LA voix du rock. Beaucoup
arrivaient à sa hauteur mais personne n'égalait ce charme, ces
intonations si particulières propres à cet artiste. Son titre « The
World's Strongest Man » me servait de référence en matière
de beauté vocale.
Mais,
chaque roi doit un jour céder sa place. Et c'est cela qu'est
chouette avec la musique, on n’attend pas que le roi décède pour
lui trouver un héritier. Il peut y en avoir un nouveau toutes les
semaines. En l’occurrence le nouveau suzerain dans le domaine vocal
pourrait bien s'appeler Jannis Noya Makrigiannis. Et comme
présentation hors musique je vais juste dire qu'il est danois.
Tiens,
ça me donne envie de parler de la vitalité de la scène de
Copenhague, mais je vais me retenir. Allez juste jeter une oreille
auprès des groupes comme Iceage, Agnes Obel ou I Was a King
Mais
le groupe qui m'intéresse aujourd'hui, enfin plutôt le projet solo,
c'est Choir Of Young Believers et leur dernier cd Rhine
Gold.
Mené par Makrigiannis.
Mais
quelle beauté ! Quelle grâce ! Sérieux ! Ce n’est
pas humain d'avoir une voix aussi belle ! Déjà dans son
premier cd Makrigiannis (que je vais abréger Makri, car le nom en
entier est trop lourd à écrire) qui portait le nom de « This
is for the white in your eyes »
avait montré tout le potentiel que son chant cachait. Sur leur
dernier cd, ce potentiel explose.
Je
vais être honnête. Tout est fait dans Rhine
Gold,
pour que sa voix soit mise en valeur. L'étrange instru que l'on
pourrait presque qualifier de pauvre met en relief ses cordes
vocales. Très limitée, elle se réduit à une batterie très
discrète, une guitare timide et quelques nappes électro par ci par
là.
Enregistré
très en arrière, l'accompagnement est juste là pour se faire
oublier.
Makri
s'est également bien fait plaisir avec la réverbe. Autant l'avouer,
elle est plutôt balèze, surtout sur le titre « Sedated ».
Mais que pouvons-nous dire lorsque Makri ouvre la bouche et laisse
échapper d'entre ses lèvres ces mélodies grandioses ?
Cette
voix est juste incroyable.
Ça
faisait très, très longtemps que je n'avais pas eu des frissons au
contact d'une voix. Imparable. Makri est là pour nous faire plier.
Le titre « Have I Ever Truly Been Here » fait partie de
la plus grande sensation musicale de l'année. Et c'est avec joie que
je le vois prendre la place de « The World's Strongest Man »
pour le statut de référence.
Ce
morceau est emblématique de Rhine Gold. Une pauvre guitare sèche
sur le dernier refrain, un synthé sur le reste du morceau, et Makri.
À
mon enterrement, j'aimerais qu'il soit là pour chanter the
foreground de Grizzly Bear pour ma mise au tombeau. Ça aurait
carrément de la gueule. Avec le Prince Miiaou à la guitare et
Stuart A. Stapples pour le chœur. Ça va être chouette.
D'ailleurs,
j'ai vu que Grizzly Bear avait mis en ligne un autre titre à
paraître sur leur futur album Shield prévu
pour septembre. Il s'appelle Yet Again. Je viens de l'écouter.
Et
bien.
…
Que
dire ?
Bah
en fait, j'ai peut-être trouvé un autre morceau de référence...
Oui,
ça va très vite
C'est
en tout cas avec Yet Again et Rhine
Gold dans
mon Mp3 que Léa m'embarqua pour une drôle d'histoire. Et cette
histoire commence sur une pauvre route du Jura.
Dans
un bus, dont la conception aurait fait jalouser un mauvais technicien
de jigouli, en direction d'un village à mi-chemin entre le coin le
plus perdu au monde et la forêt la plus austère de Franche Comté.
Nous allions à un festival de musique un peu naze « c'est du
bon black métal atmospheric » me vendait-il.
Léa
aime le métal « moi mon truc, c'est le métal »
répétait-il sans cesse de sa drôle de voix haut perchée. Il est
vrai que dans ce domaine musical c'était un véritable puits de
science. D'ailleurs on le surnommait « la truffe » dans
l'assoce musicale où nous étions...
Bon,
nous nous rendions alors dans le riant village de Liesle (13
habitants) me demandant encore comment j'avais pu me faire embarquer
dans ce bus pour ce festival dans ce village.
Sur
les sièges parallèles aux notre, se trouvait un adolescent qui ne
devait pas être beaucoup plus jeune que nous. Il s'était
paisiblement endormi, en bavant, sur les genoux d'une vieille madame.
Il avait des boutons plein la tronche et un épais magazine de jeux
vidéo sur les genoux. Il avait un gros casque, si gros qu'il faisait
passer le « beat by dr. Dre » pour des écouteurs de
danseuses. Une oreillette de son casque devait faire la moitié de
son visage, les deux ensembles devaient constituer la taille exacte
de sa tête.
La
vieille personne qui devait subir l'intrusive présence de l'individu
au gros casque fulminait contre ce dernier. Mais pas trop fort non
plus pour ne pas le réveiller. C'était d'ailleurs assez amusant. Sa
bouche et l'expression du visage montrait presque du dégoût pour le
jeune homme alors que ses yeux n'étaient que tendresse et l'on
sentait que quiconque osant le réveiller aurait à subir son
courroux.
Léa
me secoua le bras : « Tu sais, lapin, il n'y a pas de
fumée sans feu. Me dit-il doctement
-
Certes, répondis-je
-
Tu connais Mewithoutyou ? (je fis oui de la tête) Ils ont sorti
leur dernière album il y a quelques heures. Le titre d'ouverture
« February, 1878 », connu depuis plusieurs mois, avait
affolé pas mal de gens par son nouveau potentiel. Y a moyen que ce
soit un gros truc. Bam ! Dit-il en mimant une explosion avec ses
bras.
-
Je ne suis pas fan de Mewithoutyou
-
et moi j’suis pas fan de toute la daube que t'écoutes! »
Léa
me fixait désormais et la proximité de son visage par rapport au
mien était assez gênante. De la fumée sortait de ses naseaux et
soudain je sentis en lui son courroux. Mais il était immobile... il
me rendait aussi nerveux que lors de la scène final du projet
blairwitch. Tel un reptile à l’affût du moindre mouvement de sa
proie. Je lui lançais de temps en temps des petits coups d’œil
furtifs pour voir s'il bougeait. Il n'en était rien. Enfin il déniât
de nouveau ouvrir la bouche : « Grand, je viens de trouver
une perle qui seedait tranquillement dans mon pc. Écoute donc leur
dernier album. C'est un bijou de rock indie, shoegaze et lo fi. Je le
place en tête de mes sorties de cette année. Une merveille te
dis-je. » Il s'était auto-calmé.
Le
bus continua son trajet sur une départemental en aussi bonne état
que l'autoroute Moscou-Vladimir en période de crue.
La
conduite douce du chauffeur réveilla le jeune endormi en sursaut qui
percuta le menton de sa voisine et fit tomba son casque à quelques
centimètres de nos sièges. Entre les jurons de la vieille et les
excuses du jeune nous pûmes discerner non sans mal quelques notes
qui s'échappaient des énormes écouteurs. Je n'ai pas reconnu le
titre. Par contre, les yeux de Léa se sont dilatés, j'avais
l'impression d'être à côté d'un varan devant un seau de viande
fraîche ou peut être un caméléon en surchauffe, quoiqu'il en
soit, Léa rapporta le casque et le ramena à son propriétaire. Je
fis le reste du trajet seul pendant que Léa, accroupie façon Guy
Forget, en face de son nouvel ami discutait avec passion en secouant
la tête et les bras. Ils débattirent ainsi jusqu'à destination du
titre (je l'appris plus tard) « Pilori » de son groupe
modèle: Birds In Row
Le
paysage défilait sous mes yeux mis clos à allure modérée. À
travers la fenêtre s'étalait la monotone et soporifique campagne de
Franche Comté. À un vallon couvert d'arbre succède un vallon
couvert d'arbres...
Cela
fait maintenant trois ans que j'ai quitté Clermont-Ferrand pour
venir à Besançon. J'ai été rapidement étonné par l'étrange
provincialisme, qui est d'habitude réservé aux vieillards bas du
front, qui ici touche tout le monde. Toutes les classes d'âge.
D'ailleurs
de ce provincialisme découle un état d'esprit assez réactionnaire.
Obtus au changement. Ce qui est assez étrange, voir paradoxal, au
vue du glorieux passé politique de la région.
Léa
est bisontin, mais son environnement l'importe peu. Il est à la fois
hors et en avance sur son temps. Pour lui, tant qu'il n'y a pas au
moins quatre cordes quelque part c'est sûrement superficiel et sans
grand intérêt. Il ne s'ancre dans aucuns débats et n'allume jamais
de discussions polémiques. C'est un chouette type.
Le
front collé contre la vitre, j'admirais un troupeau de vaches
assoupies à l'ombre d'un grand arbre que Courbet avait sans doute
peint. Un vallon couvert de forêt succède à se paysage
naturaliste.
« Mewithoutyou... »
Ce nom me disait quelque chose « ils font du shoegaze eux?! »
La
voix enjouée (et en pleine mue) du jeune avec lequel Léa avait
entamé la discussion interrompi mon interrogation :
-
« Pilori » c'est la matière. C'est la surcharge de
l'extase. C'est la joie, c'est la vie...
-
Jusqu'à l'apothéose, enchaîna Léa, c'est un « Nile Song »
moderne, c'est la mort de la pensée conceptuelle. C'est le break du
siècle à 00:32
-
C'est le rock, la vitale brutalité du métal
-
et le tout en moins de trois minutes, conclurent ils ensemble.
Je
levai les yeux au ciel et retourna à la contemplation de
l'interminable bois que le bus traversait à deux à l'heure.
Nous
arrivâmes à Liesle. Nous vîmes une grange/salle de concert à
l'écart du hameau. Léa me tira par la manche. Je le suivis. Il n'y
avait personne.
En
attendant l'ouverture de la « salle de concert » j'allai
m'asseoir sur une meule. Nous avions deux heures à attendre (2h!).
Bizarrement nous étions les premiers arrivés. C'est rare lorsque
cela m'arrive, mais à ce moment-là, j'avais envie d'étrangler Léa.
En plus de m'avoir traîné dans ce trou paumé pour un concert qui
ne me disait rien, il m'y avait traîné avec deux heures d'avance.
Il
s'assit au pied de la meule. Il leva la tête et plissa les yeux à
cause du soleil de face. Il m'avoua tout bas « euh, je t'ai dit
de prendre un sac de couchage ? Ouais parce que le prochain bus
passe demain vers 11h... » Sa voix s'affaiblissait au fur et à
mesure de sa phrase. Je le regardai.
Je
le dévisageai. Enfin, je soufflai et sortis mon Tsugi de mon sac et
commençai à le lire.
J'avais
décidé d'ouvrir mes chakras et de laisser passer mon orage interne.
Il me le paiera plus tard.
Je
me rendis compte que j'avais pris le Tsugi du mois dernier que
j'avais déjà lu « Seigneur... ».
Léa
me demanda s'il pouvait alors me l'emprunter. Je lui tendis
gentiment.
Les
minutes passèrent et je commençai à m'assoupir le dos contre la
meule.
La
voix de Léa me tira des limbes :
-
t'as entendu parler de cette histoire avec les Pussy Riots ? Me
demanda-t-il en lisant un article sur elles. C'est fou...
Je
maîtrisais ce sujet. Je décidai alors de lui faire la Leçon sur ce
groupe de punk de la même manière qu'il me la faisait si souvent en
me parlant d'obscurs mouvements musicaux estoniens.
« En
plus, cela fera passer le temps » me disais-je.
-
T'avais entendu parler de cette histoire ? Il n'y a qu'un
encadré dans ton Tsugi à ce sujet.
Je
me craquais les doigts et pris mon souffle :
-
Il faudrait peut-être porter Nadezhda Tolokonnikova, Yekaterina
Samutsevich et Maria Alyokhina au rang de symbole. Le symbole de la
société russe.
Tu
vois, ces trois femmes sont les principales leaders des fameuses
Pussy Riots. Ce groupe de musique qui a exprimé son opinion sur le
système autoritaire politique russe a été jetée en prison il y a
quelques mois.
Cela
faisait longtemps que Poutine cherchait une raison pour les mettre à
la lioubienka. L'église lui en a enfin donné une : Elles ont
blasphémé dans une église moscovite.
Blasphème.
Elles sont jugées pour blasphèmes ! Tu te rends compte ?
Et
comme on sait qu'il n'y a aucune séparation des pouvoirs en
Russie, Vladimir
Légoïda, haut placé de l'église orthodoxe, a déclaré qu'elle
devait répondre de leur « sacrilège » et Poutine a
juste dit « qu'il n'y avait rien de bon » dans l'action
des jeunes femmes activistes. Quant au sénile patriarche Kirill, il
demande la peine la plus forte.
Poutine
aime bien donner son avis sur les affaires en cour, et sa
participation dans les sentences de certains condamnés ne font aucun
doute. Je ne sais pas si ça te dit quelque chose l'affaire Ioukos ?
Demandais-je. Il me fit signe que non.
C'était
une fantastique manœuvre pour pouvoir prolonger la sentence du
magnat du gaz Mikhaïl Khodorkovsky en 2010. Cela fait 9 ans que
Khodorkovsky est en prison pour s'être opposé politiquement à
Poutine... mais ce n'est même plus important maintenant au vue du
scandale qui approche.
Aussi
étonnant que cela puisse paraître, la population russe ne soutient
pas les Pussy Riots et leur combat. Ce n'est qu'une minorité de
« blogueurs » et d'activistes qui forment des
regroupements anti Poutine.
Poutine
dispose d'une assise populaire très impressionnante. Sans avoir
truqué les élections en mars 2012, il aurait quand même été élu
dès le premier tour. Ce qui confirme deux choses : à la fois
la stupidité de ce dernier et l’aveuglement du troupeau qu'il
dirige.
J'ai
eu la chance d'aller faire un tour en Russie l'année dernière, tu
te souviens ? Je pense que plus des 90% des gens que j'ai
rencontré la bas sont xénophobes, homophobes et pro poutines. Le
peuple russe est un peuple qui est fait pour être dirigé et pour
insulter son prochain de « Chiourki ». Aveuglé par
l'ultra libéralisme et le populisme nauséabond du parti politique
Russie Unie, il est prêt à gober n'importe quoi.
Je
ne parle même pas du statut des femmes. C'est une catastrophe.
J'ai
également été révolté par le nombre de svastika pintes partout
dans Moscou. Ce pays qui a 50 ans de retard n'arrive pas à faire
autre chose que du nationalisme qui repose sur la soi-disant grandeur
de leur pays. Ils n'ont que « la grande guerre patriotique de
42-45 » à la bouche pour justifier leur puissance. Ils ont
également le nom de Joukov qui « avait autant de médaille que
Staline » qui avait arrêté l'armée allemande aux portes de
Moscou.
Je
rappellerai juste que si pour eux la guerre c'est 42-45 c'est parce
qu'ils étaient occupés à partager la Pologne en deux avec le
troisième Reich en 39.
Alors
oui, je porterais les trois leaders des Pussy Riots au rang de
symbole. Symbole du contre-pouvoir présent pour tenter d'endiguer
tous les excès commis par les apparatchiks politiques russe.
Ces
féministes activistes ancrées dans le XXIe siècle risquent de se
voir infliger sept ans de prison ferme par des types en nuques
longues à la ramasse la plus totale.
Léa
me regarda avec des gros yeux ronds étonnés.
-
Oui, j'en avais entendu parler, et ça me révolte, terminais-je
Nous
passâmes le temps qu'il nous resta à parler de foin, du fait que
c'était cool d'être assis dans un champ et du moyen qu'on allait
trouver pour passer la nuit.
Je
n'ai jamais été fan de Mewithoutyou. C'est dur de percer la beauté
de ce genre de groupe au « spoken word ». Néanmoins, il
faut leur reconnaître une force : la source de leur
inspiration.
Les
frères Weiss, qui forment le noyau dur du groupe, baignent dans la
religion depuis toujours. Il était donc impensable que celle-ci ne
soit pas présente dans leur musique. Comme une commode Louis XIV, ce
groupe d'indé post-hardcore possède un nombre incalculable de
tiroir. D'origine juive, élevé dans la tradition musulmane du
soufisme ces frères de Philadelphie ont également vue leur mère se
convertir au protestantisme. Wut ? Ces références religieuses
sont notamment présentes sur le titre « Fox's dream of the log
Flume » il y a des rapports à Dieu constants. Il est ici
présent comme témoin et interlocuteur.
« There's
obviously no god but there's definitively a God ». En rupture
dans les paroles et dans l'instru. À l'image de l'album entier qui
vient de paraître : « Ten Stories ».
C'est
vrai que souvent dans un disque il y a toujours 1 ou 2 titres dit « à
tiroir », mais là, c'est simple, tous les titres le sont.
C'est un cd de rupture. C'est d'ailleurs le mot de l'album. Le
qualificatif qui lui correspond le mieux : Rupture. Cassure.
Brisure...
Il
y a du Modest Mouse de l'époque « Lonesome Crowded West »
la dedans. Un rock Indie fou mélangé avec la richesse de Grizzly
Bear : Breaks et ponts dans tous les sens.
Revenons
sur « Fox's dream ». Ce titre c'est le « Gravity
Rides Everything » de Ten Stories. De par sa guitare et ses
dissonances avec la voix. Et il y a ce break terrible au 2/3 du titre
qui le fait pénétrer dans une autre dimension, à la recherche de
nouveau motifs musicaux, de nouveaux thèmes...
« Fox's
Dream » est le morceau complet de l'album qui caractérise à
la perfection ce dernier opus de Mewithoutyou. Il y a tout :
Dieu, les rebonds dans les mélodies et le spoken words à la
frontière du chant hardcore.
Il
y a un truc coolos avec Mewithoutyou. On peut écouter le début et
la fin d'un même morceau on ne reconnaîtrait pas le titre. Un peu
comme le fameux « 2+2=5 » de Radiohead.
Du
beau boulot.
Je
crois que l'on peut créer un lien entre le leader d’Of Montreal,
Kevin Barnes et Mewithoutyou. Les deux s'attachent à un élément
qui peut provoquer du rejet. Ils se consacrent à ce qu'ils aiment
(ou adorent) sans se soucier du regard des autres. Drogues pour
Barnes et religion pour les Weiss.
« We
want our film to be beautiful not realistic » hurlait Kevin
Barnes lors du climax du grand « the past is a grotesque
animal » en 2007. Il est alors en total rejet. De la société,
de ses proches, de lui-même. Il souhaite s'échapper et cela par
tous les moyens possibles.
Barnes
sait que ses seuls occupations et plaisirs sont artificiels et
dangereux. Et c'est peut-être là le point d'orgue d'Hissing
Fauna, are you the destroyer ? Il
comprend qu'il court à sa perte mais il fonce avec le sourire « At
least I author my own disaster ». Il se dit qu'il doit tout
faire pour améliorer son existence et avoir le contrôle de sa vie
malgré les différentes sphères sociales qui l'emprisonnent, le
coincent ou même le persécutent.
De
tous ceux en pleine dégénérescence, Kevin Barnes pense qu'ils se
rattacheront à un élément qui produit encore plus le rejet: la
spiritualité, la drogue, le sur naturel... Tout ce qui peut être
critiqué ou non admis par un groupe sociologique est bon à prendre.
Mais ce rejet provoqué contribue à un regain de forme. Car à ce
moment-là, Barnes et les autres sont à nouveau remarqués, ils
existent !
Ils
veulent se réfugier dans quelque chose qui leur font du bien
directement et indirectement. Dans les moments de détresse, Barnes
semble nous dire qu'il y a un besoin de dépendance à l'interdit que
l'on se doit d'assumer pour vivre pleinement les plaisirs ou
sensations que nos procurent ces interdits.
Dès
les premières secondes de Ten
Stories,
sans ajout de pistes, Mewithoutyou prend nos viscères, les étire et
les plonge dans un gouffre électrique.
Dans
les mouvements introductifs de February 1848, Weiss avec sa voix
comme seul outil arrive à faire bousculer l'écoute du titre
d'ouverture dans quelque chose d'énorme. Weiss s'arrache, on
chavire. Il nous promet une puissance de feu sans commune mesure,
mais à tort. Car le reste de l'album est plus apaisé.
Malgré
tout, le titre d'intro reste un des morceaux forts de l'album :
C'est une histoire en trois temps. Une histoire construite, c'est un
boulot d'architecte. C'est un enchevêtrement de couloirs,
d'escaliers et de vastes et grandioses salles de réceptions.
Cette
première minute illustre à la perfection l'idée de transcendance
pop.
C'est
un thème basique, construit à partir d'un trio rock moderne, qui
devient un crescendo dévastateur. Au lieu d'assister à un ajout de
piste comme dans n'importe quel crescendo classique, il y a un
nivellement par le bas de la structure musicale. On va provoquer
l'attente et la réaction chez l'auditeur. Un seul élément du motif
en question va se développer. Sur « february 1848 »
c'est la voix par exemple. Il y a également une magnifique
transcendance pop sur le long du titre « No Futur No past »
de Cloud Nothings. Le deuxième album des Foals, Total
Life Forever est
en grande partie construit de cette façon également.
La
répétition est volontaire et provoque l'attente. C'est sans doute
un des procédés du moment le plus efficace dans la musique moderne.
Assis
dans la paille, Léa pianotait sur son téléphone pendant qu'une
file d'attente avait commencée à se former devant la grange/salle
de concert. Une quinzaine de personne, soit une augmentation de plus
de 100% de la population de Liesle. La plupart venait en voiture et
le champ dans lequel nous attendions se transformait peu à peu en
une sorte de parking improvisé.
Vers
18h, nous commençâmes à nous diriger vers les portes d'entrées.
Léa me parlait des groupes qu'on allait voir, je me demandais
comment on allait dormir. À chacun ses préoccupations... Je pensais
appeler une amie qui avait récemment eu le permis mais j'avais peur
de déranger.
Je
n’aime pas déranger les gens.
J'aime
pas trop non plus me pointer à l'improviste dans des concerts
pouraves.
Hmpf,
ce n'était pas mon jour.
La
salle des passagers du zinc correspond à tous les clichés que l'on
peut se faire d'une salle « underground » situé en plein
centre-ville, mais je crois que la grange de Liesle la bat à ce
niveau. La première chose que l'on remarque en entrant dans
cet antre c'est le sol jonché de paille. Il y a aussi une meule. Une
meule de foin dans la salle de concert ! J'avais juste
l'impression qu'ils avaient posé quatre façades en bois pour
délimiter l'espace réservé aux concerts.
Mais
c'est à ce niveau-là que la magie opère. La rencontre entre
musique et campagne profonde : le sol de paille était poisseux.
Je pataugeais dans la bière.
Il
y avait un comptoir (une planche de bois horizontale et deux
verticales) et un mec affalé dessus. Les néons et les guirlandes de
mauvais goûts rappelaient une kermesse de fin d'année dans une
école maternelle. Les lumières s'allumèrent tout d'un coup... On y
voyait toujours que dalle.
« Des
ampoules basses consommations » souffla Léa, et ses yeux
s'éclairèrent.
Comme
par habitude désormais, nous allions nous asseoir sur la meule.
Étonnamment la salle se remplissait bien. Un flux réduit mais
constant de spectateurs allait et venait.
« Je
crois que c'est le premier concert de ma vie que je fais avec toi où
il y a plus de 20 personnes » dis-je à Léa.
Je
regardai sur un flyer le premier groupe à passer : « the
devil' son »
-
Dis donc Léa, t'as pas l'impression qu'ils se foutent de notre
gueule les groupes de métales avec ses noms ?
-
Boarf, t'es mauvaise langue. Ils veulent exprimer des choses...
-
Devraient commencer par leur sexualité.
Il
fronça les sourcils mais soudainement il m'agrippa l'épaule, siffla
et pointa du doigt quelqu'un dans la foule.
-
Le type du Bus !
-
Demande-lui s'il a un endroit où pioncer...
Il
se dirigea vers le quidam en question.
-
Bastou ! Lapin ! Tu ne m’as pas dit que tu allais au piou
piou festoche ce soir !
-
ça m'a pris subitement. Il restait encore des places, dingues non ?
«Incroyable »
pensais-je
-
Tu viens voir un groupe en particulier ? Où tu viens juste
profiter du verre de bière éventé à 1€ ? Demanda Léa
-
Un peu des deux j'imagine, sourit « Bastou ». Il y a ce
groupe de Post Slowcore qui verse dans le sad rock de temps en temps
qui peut être intéressant. The Tears of Evil (« les larmes de
l'enfer ») qu'il se nomme.
Je
me pris d'un fou rire. Ils me regardèrent se demandant tour à tour
si j'étais fou ou simplement crétin. Je me repris. Il est vrai que
notre salut nocturne allait sans doute passer par Bastou. Je m'en
voudrais de le froisser.
Léa
m’introduisit enfin. On se serra la main. Il se présenta un peu.
Je lui demandai ce qu'il faisait dans la vie :
-
J'écris des Haïkus, dit-il
-
J’n’en ai rien à... woua, tu es un peu poète, dis-je avec une
petite pointe amicale et ironique dans la voix. Mais je veux dire,
sérieux, t'es encore au lycée ou bien ?
-
Je travaille comme apprenti chez un fermier de Liesle. C'est lui qui
m'héberge ce soir. Mais je passe mon temps à écrire des trucs. Tu
vois, un jour je fais des Haïkus puis je vais torcher une nouvelle
le lendemain. Vu que je ne fous rien à la ferme j'ai tout le temps.
On m'a publié pour la première fois il y a bientôt un an. Et ça
fait deux mois qu'on me paye. Le magazine Orientalis.
C'est eux qui me payent.
Ils
sont spécialisés dans la médecine alternative. Les mecs sont
persuadés que la lecture à voix haute de Haïkus positifs peut
guérir des maladies. Du coup ils en mettent plein. Le marché du
Haïku curatif est un marché juteux, nous fit-il avec un clin d'œil.
Léa
siffla d'admiration :
-
C'est la chose la plus stupide que je n'ai jamais entendu de toute ma
vie, ria t'il.
-
Tu es une sorte de voleur feng Shui en fait ? Demandais-je.
-
Un peu. Surtout que j'emballe un Haïku en 15 secondes...
Je
ne pus m'empêcher :
-
Tu te fais combien?
-
10 balles le Haïku. Sachant que j'en envoie quatre par numéro et
que c'est un magazine hebdomadaire...
-
160€ par mois enfoiré !
Nous
l'applaudîmes. Il fit une petite courbette de reconnaissance.
Le
concert fut décevant en comparaison avec la discussion de Bastou.
« Le fils du diable fini son concert par quelques jets de
flamme et d'un monologue satanique, la salle atone ne répondit rien
à l'élan mégalomaniaque du type. Désapprobation, énervement...
Ce type devait tenir son nom pour le don qu'il avait d'instaurer
l'ambiance la plus pourave dans un lieu déjà craignos. »
Les
heures passèrent les groupes défilèrent. Secouer la tête n'était
même pas intéressant. Bastou était hypnotisé par la batteuse trop
moche de Tears of Evil tandis que Léa et moi testions la contenance
d'un fût. La musique, pour une fois, était carrément secondaire.
Minuit
était passé depuis bien longtemps, un type s'égosillait sur un
micro, Bastou emballait la batteuse citée plus haut dans un coin
sombre de la salle et Léa tentait de boire deux verres à la fois.
Sans
succès.
Notre
fût était vide et la meule de foin était occupée par Bastou et sa
copine. Rien ne nous retenait ici. Je voulais rentrer chez moi. Je
voulais être tranquilou assis dans mon canap à écouter de la
musique. Mais une bonne quarantaine de kilomètre devait séparer mon
canapé de mon corps.
Léa
me dit qu'il avait une idée. Il me dit rien d'autre et se dirigea
vers notre nouvel ami.
Bastou
accepta de nous héberger. Nous dormîmes dans la grange. Je
commençais à en avoir sérieusement marre de la paille à ce
moment-là. Mais pour une fois j'ai pu écouter dans de bonnes
conditions quelques titres de Mewithoutyou.
Comme
le miroitement de nos chemins se dévoile, l'imagerie de Mewithoutyou
prend forme et lentement les grâces apparaissent et hantent les
auditeurs que nous sommes. Des images, des scènes, un Dieu, des
animaux ou même des Dieux et des idéaux. Voilà le corps, voilà
l'âme et le ressort de ce quintet divin.
Je
m’endormis sur l’entêtante mélodie du titre conclusif « all
circles ». Pas longtemps car quelques instants plus tard, Léa
fini le deuxième fût et me demanda si j'étais d'accord pour aller
en choper un autre dans la grange de concert. Je lui fis un doigt
d'honneur et me rendormi. Une dizaine de minutes passèrent et c'est
Bastou qui me réveilla à moitié à poil pour savoir s'il « pouvait
me taxer une capote ». Léa s'était endormi la tête sur mon
ventre. J'avais de la paille plein la tronche.
-
à une condition... Je veux une chambre
-
Deal.
Enfin,
le bus du retour s'approchait de la gare de la bonne ville de
Besançon. Je voulais revoir mon studio, le prendre dans mes bras.
-
MewithoutYou a fait du bon job. C'est vrai.
-
Dans ton top 10 de l'année ? Me demanda-t-il.
-
Carrément.
-
Je te ferai mon top de l'année à l'occase...
-
T'inquiète, j'ai ce qu'il faut en P.q.
Le
bus arriva. Nous descendîmes les jardins de la gare en direction du
quartier battant dans le grisant silence du petit matin un jour de
repos. Le ciel était gris et marcher nous rendait joyeux. Nous
passâmes par feu le pont Battant. Enfin au niveau de la place de la
Mairie à quelques secondes de chez moi et à une minute de chez lui,
Léa me tendit la main :
-
C'était une bonne soirée lapin
-
La prochaine me tarde, grand.
Nos
routes se séparèrent et, enfin, la porte d'entrée de mon immeuble
m’apparut tel le christ à St Thomas.
« Yet
again, you’re the only one... »
-----------------------------------
Quelques
jours plus tard…
Il
y a le réveil, mais il y a aussi le lever. Mal au crâne. Aux dents
et à la racine des cheveux. La bouche pâteuse, un mal de bide
démentiel et surtout, cette envie de vomir forte et constante qui
nous prend à la gorge toute la journée.
Il
n'y a pas de remède. Le pire c'est quand il faut aller déboucher
les différents éviers obstrués durant la nuit par ses camarades.
Prendre la serpillière et nettoyer le flux inexorable de vomi qui
s'écoule à travers les tuyauteries.
L'envie
de bouger est absente.
On
est allongé tant bien que mal sur un sol/drap/matelas avec un
oreiller/serviette et le mal physique nous clou au sol.
Dans
la crasse mais aussi à moitié dans le sommeil et si ça peut faire
disparaître un peu les effets de cette monstrueuse gueule de bois,
alors on prend. Comme des zombis tentant de nier l'effroyable état
dans lequel nous sommes, scotchés sur un sol immonde et
inconfortable, on se force à clore les paupières.
Et
puis enfin, un certain sens du devoir nous frappe. Il est seulement
10h mais de toute façon, on ne dormira pas plus alors on se force à
se lever et là, ce n'est plus le devoir mais c'est la douleur qui
nous frappe. Nos veines s'élancent. Notre crane explose...
Il
y a aussi cette plaque du sucre sur les dents. Cette sensation de
mâchoire lourde accompagné d'une haleine que nous avons nous même
du mal à supporter.
Enfin,
il y a la panique. Qu'ai-je fait hier soir ?
J'ai
eu l'image du singe ensuite. Un babouin au poil roux. J'avais cette
scène en tête : le primate frappait des boutons d'une table de
mixage comme un taré. Étrange... je ne sais pas pourquoi mais sur
le coup ça m'a rappelé qu'une tonne de cd s’amoncelait (de
manière numérique) sur mon ordinateur. Une bonne trentaine que je
n'avais toujours pas écoutée. Le plus vieux datait de 2 jours et le
plus récent de cette nuit. C'était la masse. La masse de données
et d'infos inutilisées entrain de pourrir dans mon lecteur.
Je
lançai un titre, puis déçu de ne rien ressentir, j’éteignais la
chaîne. J'en avais marre d'être totalement improductif. C'est vrai,
on se lasse de tout... pourquoi insister quand on ne veut plus
entendre ce que l'on écoute habituellement. Briser la routine du
cd/critique/cd/critique (~). Mais pourquoi faire ? Pourquoi je
m’ennuie des choses dont je me délectais auparavant ? Allongé
tant bien que mal dans ma baignoire, les mains sur mon front,
j'essayais de contenir le mal de crâne.
Le
sol d'une baignoire est dur. Je peux vous le dire car mon dos a
carrément dégusté toute la nuit, et qu'en plus d'avoir une gueule
de bois monstrueuse j'ai eu le bonus scoliose + 3.
10h02.
Pourquoi je suis dans cette baignoire d'ailleurs ?
Ah
oui, mais qu'est-ce que je fou là ? Je me levai. 5 secondes.
Puis je couru vomir au toilette. Je sorti de ma salle de bain. Je
tombai alors nez à nez avec l'un de mes camarades en train de
ronfler comme un porc sous la table, une bouteille vide coincé sous
son ventre.
Je
regarde l'heure : 10h10. Que vais-je faire aujourd'hui ?
« Je n’ai pas un CM cette aprèm ? »
Comme
une évidence ! Comme une flamme d'un briquet qui se serait
allumé grâce à une dernière goutte d'essence ! Je commence
ce soir ma nouvelle émission de radio. Enfin. Soulagé d'avoir un
objectif.
C’était
il y a quelques jours. Bethany, une amie aspirante journaliste,
m’appelle en soirée : « j’ai une proposition ».
J’avoue qu’à ce moment précis, mon cœur s’accéléra et je
sentis qu’une bonne nouvelle n’allait plus tarder à arriver. Je
le flairais. « On m’a proposé de tenir une émission de
radio, je ne le sens pas de le faire seul. Ça t’intéresse ? ».
Je savais que Bethany avait jeté un œil à ce que j’écrivais.
« Une émission de musique en nocturne ». Plus qu’un
rêve, un fantasme. A cet instant précis, je sautais en l’air. Un
point rageur vers le ciel. Tout comme Antennas. Ivre de joie comme si
je venais de boire 3 gallons de pure bonheur. J’essayais de me
contenir… Je rassemblais mes esprits, me calma un peu et répondis
d’une voix claire, posée et sérieuse :
-
Ça à l’air intéressant, Bethany. Aurais-tu plus amples détails ?
Demandais-je d’une voix mielleuse.
-
Oui bien sûr ! Cela serait sur Radio Sud. 101.8 Fm. Le mercredi
de 22h00 à 00h00. Et le mieux… on passe la musique que l’on
veut ! On a carte blanche. Alors ? Ça te branche ?
-
Ouais… ça me branche carrément. Je rêvais déjà des futurs
sujets possibles et à comment j’allais baisser ma braguette devant
les micros comme dans « Good Morning England ».
Quelques
semaines avant ce coup de fil, ma copine m’avait demandé forcé
d’envoyer mon dernier article à Bethany : « Elle
est déjà dans le milieu, elle,
envoie lui ton texte sur Allo Darlin’, ça pourrait peut-être
donner quelque chose. En tout cas, faut que tu tentes ». C’est
donc ce que j’ai fait. Et me voilà désormais avec ce petit
quelque chose en plus. Bethany reprit :
-
On fera équipe avec une troisième personne. Je crois que tu le
connais. Il s’appelle Léa…
Et
qu’avais-je préparé pour l’émission de ce soir ? À vrai
dire, pas grand-chose. C’était surtout du vite fait enrobé d’une
bonne dose d’improvisation. Avec Léa, on s’éclate bien à le
faire en tout cas.
10h20.
C’est le début de la renaissance. Et l’accouchement commence en
se lavant. Puis on se rase, on se frotte les dents (3 fois) et on
termine par les lentilles. Ensuite, on s’habille. Mais très vite,
les effets de la gueule de bois reviennent lorsque l’on doit passer
sa tête dans un T-shirt ou en se baissant pour faire les lacets de
ses chaussures. Alors la torture recommence, mais cette fois ci, on
est propre.
C’est
là. A ce moment précis que mes oreilles se posèrent sur le
meilleur cd que je n’avais jamais entendu. Mais alors, quels mots
choisir pour décrire cet objet ? Vais-je encore user d’usants
superlatifs ? Pour faire simple je vais commencer par une
comparaison. Disons que l’objet en question atteint l’état de
grâce du Dark Side of the Moon et la qualité d’Ok Computer. C’est
une œuvre d’art intense, complexe, profonde et complète. Ais je
le recul nécessaire pour lui apposer un jugement quelconque ?
Sans doute que non. Alors, pour la première fois depuis que j’ai
commencé à écrire des
trucs sur
la musique, je vais laisser mon côté dogmatique au fond du tiroir.
Cette
année, j’ai adoré des tas de chose. Grizzly
Bear, Tindersticks, The Men… J’ai
découvert Allo Darlin’, Franck Turner et tellement d’autre !
La liste de mes sensations fortes musicales de l’année 2012
pourrait bien s’étendre sur plusieurs pages. Mais qu’est-ce
qu’un bon Cd face au bouleversement individuel provoqué par un
album seul ? Je ne parle pas du dernier Godspeed ni de Dirty
Projectors qui sont deux Cds proche de la perfection. Je parle d’une
galette qui va au-delà de la musique. Qui transcende les structures.
Oublie, pulvérise et mal traite tous les codes mis en place. Et bien
qu’il s’éloigne de tous terrains sonores connus, je parle d’une
déclaration d’amour à la musique. Entre la haine et la passion,
je veux parler d’un ouragan
Je
parle de Swans et de l’album The
Seer.
Lunacy !
Lunacy ! Lunacy ! Face
à la puissance et l’impact créé par chaque instant. Tel un cri
d’allégresse ! Absalon ! Absalon ! C’est le vent
qui souffle la musique de Swans. Nos veines s’élancent et les
cieux musicaux se déversent dans nos oreilles. C’est le chaos. Où
est le commencement ? Et où est ce que cela termine ?
Comme la course d’un colosse, les sons qui s’échappent de The
Seer sont inexorables et sans limites. Sans commune mesure, les
auditeurs n’en resteront pas indemnes.
Il
y a deux éléments essentiels chez Swans : La puissance et la
lenteur. Deux caractères cultivés tout le long de leur longue
carrière qui sont ici sublimés. C’est l’acmé de la force et,
comme dirait Marcel Kanche, le vertige des lenteurs.
Le
penseur de cette infernale machine s’appelle Michael Gira. Il a
reformé Swans il y a quelques années pour mettre sur bande ses
idées et les sons qui hantaient son esprit. Il l’a dit « J’ai
mis trente ans pour faire ce Cd ». Alors, lorsque Swans s’est
séparé en 1997 quelque chose manquait à Gira. Le gout de
l’inachevé le taraudait. Déjà en 1982, The Seer « le
devin » fait son nid dans le creux de son âme. Et partout au
fil de sa discographie les signes de la tempête à venir se
faisaient sentir. Ainsi en 84 sur l’ep Young
God le
titre « I crawled » était déjà présent. « I
Crawled » qui constitue désormais la deuxième partie du titre
éponyme de The Seer. Jarboe, L’autre membre essentiel du groupe,
qui avait quitté Swans au milieu des années 90 rejoint spécialement
Gira pour l’aider dans la mise à bas.
A
la fois concret et totalement abstrait, The Seer reprend les thèmes
humains les plus importants : La mort, la destruction mais aussi la
spiritualité. Le mysticisme et la folie sont aussi présents. Comme
Dark Side, ce Cd est universel. Mais comment exprimer ces
conceptions ?
J’étais
donc debout dans ma chambre/salon/cuisine lorsque la lecture de The
Seer s’enclencha.
C’était le titre Lunacy. Ce fut une onde de choc. « Est-ce
mon idéal musical ? » me demandais-je après quelques
minutes d’écoute. Je me trainai jusqu’à une chaise. Le rythme
obsédant et les incantations du titre d’introduction me
transcendèrent. Cependant, mon mal de crâne revint vite, j’éteignis
la lecture. La journée fut sadique. Je ne faisais que de penser à
ce que j’avais entendu le matin. Pendant les trois heures de droit
politiques, le plus insupportable, ce n’était ni la voix du prof
ni ma gueule de bois, mais juste l’envie non satisfaite de vérifier
et d’aller plus loin dans l’œuvre de Swans. Il faut dire
qu’avant The
Seer,
je ne connaissais que très peu Swans. Surtout de réputation. Alors
l’envie est vite devenue un besoin. C’est fou. Cela semblait
devenir physique.
Dans
le bus qui m’éloignait de la fac je me suis dit que je passerais
bien vite fait chez Léa. Il devait avoir fini les cours lui qui
était en manaa. Feignasse d’artiste. Il était alors 18h et notre
émission commençait dans 4h. Je sonne à l’interphone :
« C’est qui ?
-
C’est moi
-
ok »
A
la fois exténué par ma nuit et ma journée, et heureux des
évènements à venir, je montais les escaliers fébrilement quatre à
quatre en manquant de me gaufrer à chaque enjamber. J’arrive
devant sa porte « espace non-fumeur ». Elle s’ouvre.
« Salut grand ! » je voulais juste préparer
l’émission et rentrer chez moi. Nous nous installâmes dans ses
canapés et décidons de la marche à suivre pour ce soir. « Le
Three Way Jack numéro 5 sera un spécial shoegaze ! » me
dit alors Léa les yeux brillants. Il commença à me lister des
groupes :
-
Yo la Tengo ou Dinosaur jr?
-
Yo la Tengo
-
Merchandise ou Wild Nothing?
-
Wild Nothing
-
Ride ou My Bloody Valentine?
-
Les deux!
Et
ainsi de suite. Finalement, en écoutant les guitares saturées du
shoegaze j’oubliai peu à peu Swans. Si bien que lorsque Léa me
proposa de rester manger chez lui j’acceptai. « Je vais te
faire des protéines de soja avec du lait d’épeautre ». Au
départ, je croyais qu’il se foutait de moi. Mais non, pas du tout.
« Je suis végétarien, je ne supporte pas qu’on fasse du mal
aux lapins ». Je restai silencieux quelques secondes… puis,
je décidai que cela ne servait à rien de débattre de ça
maintenant. Nous mangeâmes et bûmes plus que de raison. La chaleur
(à la fois réelle et littéraire) de son studio me faisait du bien.
Assis par terre « pour que la nourriture circule mieux »
nous finîmes par déguster une fabuleuse goutte que son oncle
fabriquait dans les granges de sa ferme perdu dans les vallées de
Haute Saône. La soirée défila. Finalement, vers 21h, on
décida qu’il était temps d’aller prendre le bus :
« -
T’as bien les clés ? Demandais-je
-
Oui
-
T’as pensé à prendre nos clés USB ?
-
Oui, me fit il plus fort
-
T’as…
-
J’ai tout !
-
Ok, ok… Tu sais, je suis toujours un peu tendu…
-
T’inquiète grand »
Nous
arrivâmes trois quart d’heure en avance dans les locaux de radio
sud. Je relis mes notes, baisse et remonte ma braguette devant le
micro (une idée fixe chez moi) et liste mes mp3. Je ne vois pas le
temps passer, on prend l’antenne dans 5 minutes. « Dis-moi
Léa, elle est où Bethany ? ». Petite panique. Mon
portable sonne. C’est elle :
-
Boys ! Je me suis trompée de bus ! Vous allez devoir
commencer sans moi…
Bethany
est l’animatrice, la technicienne et notre raison de vivre pendant
ces deux heures à la radio. Léa pleurait (à chaude larme). « Mais
qu’est-ce qu’on va faire !? ». Finalement, nous
reprîmes nos esprits et apprîmes sur le tas à nous servir d’une
console. « Alors… euh… là ça doit être le son de la
console 1… » Ce fut un poil laborieux. On lança l’émission
en montant tous les micros (dans le doute) :
« -
Bonsoir ! Vous êtes bien sur radio Sud. Vous écoutez Three Way
Jack l’émission de rock indépendant ! Et de quoi on parle ce
soir Léa ?
-
Alors on vous a concocté un programme avec du pur shoegaze, du
classique à la new wave shoegaze! Du son bien lourd que vous allez
adorer. On va tout vous raconter de 91 à maintenant. Mais toute
suite on s’écoute The Generationals avec leur titre U Say It 2 on
se retrouve après ça avec le sommaire de ce soir»
On
se frappa la main « Aw Yea ! ». Et pendant que Ted
Joyner nous chante I
can’t believe you say it too Léa
et moi dansions comme jamais. Dans un état second, dans le studio,
sur les chaises et puis sous la table. (Plus
envie d’écrire quoique ce soit, je sors prendre l’aire, ça fait
3 siècles que je suis assis à ce bureaux pour écrire cinq lignes
de merde… Il fait un froid de canard. Je me gèle. Je viens
vraiment d’avoir une idée stupide. Un mardi soir, à 22h à
Besançon, il ne se passe pas grand-chose. Un peu comme partout
d’ailleurs. Je me dirige là où mes pas me mènent. Je passe dans
les larges artères, et m’avance vers le Doubs, aux abords du quai
je m’assois enfin. J’ai
dans ma poche une lettre de la direction des douanes. Je l’ouvre,
c’est un accusé de préinscription du concours externe pour
l’emploi de contrôleur des douanes « Purée, faites que je
le loupe ». Je regarde autour de moi quelques instants. Je suis
vraiment seul. Le noir de la rivière est très beau en cette nuit
d’automne. Et les murs bleus de la ville se reflètent avec les
plus agréables des effets dans l'eau grâce aux nombreux projecteurs
pointés sur les façades. Je reprends mon chemin et parcours cette
fois ci des lieux plus fréquentés. D’abord une rangée de bar
quasiment vide, puis un carrefour piéton déserté. Je me retrouve
enfin sur la place des beaux-arts (ou de la révolution, ou du
marché, je n’ai jamais su) Je croise une fille, elle me sourit. Je
jubile intérieurement. Une foule de personne quitte un cinéma. Je
vais à leur rencontre pour tenter d’accrocher des bribes de
conversation et deviner le film qu’ils venaient tous de voir. J’ai
rien entendu. Je continue mon chemin et passe devant le Kilarney. Ce
pub irlandais est tenu par des voleurs. Ils vendent surement la bière
le plus cher possible. Pour deux personnes, il faut prévoir
facilement 15€. Lorsque j’étais en couple, le vieux aigri qui
sert de patron a bien du empocher 50% de mon argent mensuel. La bière
est y certes bonne, original et exotique mais quand même… Cela
fait bien 1/2h que je suis dehors à me geler, je fais un dernier
crocher par la rue Gambetta. J’entends d’ici Léa « t’écris
le guide du routard de Besançon ? ». Je rentre enfin chez
moi.) Bethany
nous a rejoint, nous finissons la deuxième heure ensemble. On donne
rendez-vous à nos auditeurs pour la semaine prochaine. Peut-être
que cette fois ci ils seront plus de 30 ?
Il
doit être un peu plus d’une heure du matin. Je viens juste de
rentrer chez moi. Je lance enfin la lecture de The
Seer.
Ça faisait des siècles que j’attendais ce moment. Je m’enfonçai
dans mon canapé/lit/bureau et l’écoutais pour la première fois
en intégralité. De manière totalement passive. Qu’est-ce que ça
fait du bien d’ailleurs ! Écouter un cd et rien d’autre !
Se laisser porter, déguster et vivre au rythme du talent des
musiciens. C’est en tout cas ce que je comptais faire. Mais dès la
rupture de la cinquième minute de mother of the world je me suis
retrouvé à sauter sur ma table basse à faire du air guitare et
bouger mon corps de la manière la plus absurde qui soit. Mon système
nerveux, mes tripes s’étaient laissé aller à la rythmique
diabolique des 15 premières minutes de The
Seer.
C’était juste incontrôlable. C’était plus fort que tout :
la répétition du riff, la batterie martiale qui allaient au-delà
de tous thèmes musicaux connus. Une transcendance pop sans limite.
Jamais un coup de caisse claire ne m’avait autant enivré. Et
lorsque le corps et l’esprit ont été suffisamment préparés et
chauffés par de longues introductions instrumentales entêtantes,
les voix de Jarboe et de Gira entament leurs incantations, leurs
litanies. En plus d’être parfait dans la construction mélodique
et rythmique, Gira franchit encore un palier avec des harmoniques
juste sublimes dans la voix. Le titre Mother of the World est
démentiel. Parfait. Après une écoute de ce titre, on est vidé.
Presque épuisé. Ebahit par ce que l’on vient d’entendre.
Comment avec deux accords Gira arrive-t-il à tenir cinq minutes
avant le premier break ? Et pourquoi c’est juste génial ?
En gardant une structure identique tout le long, Gira utilise le même
procédé que James Murphy sur All My Friend. Petit parallèle avec
la ligne de piano d’All My Friends. Gira prend ici une piste, la
guitare, au départ agressif, désagréable. Il va la transformer en
un élément essentiel de la structure en la rendant nécessaire à
la cohérence des autres pistes. Puis, cette piste va devenir
jouissive et va même devenir la première raison pour laquelle on
secoue la tête : elle devient génial. Mais alors par quelle
magie ? En rajoutant des éléments minimes par ci par là et
uniquement temporaire. Ces pistes mineurs (appelons les mineurs,
voulez-vous ?) accompagnent puis abandonne la structure
originale. Dans ce chaos, les éléments essentiels demeurent et
s’enrichissent après chaque passage d’une nappe mineure. Sans
changer pour autant. Prenons l’exemple de la batterie après une
intensité sonore maximale dans un morceau de rock quelconque pour
comprendre ce phénomène. Regardons
les Strokes. Voyez le tube The End has no End? Après
le couplet du milieu (ou deuxième refrain) dans lequel Casablancas
s’époumone et moretti envoie la sauce. Nous sommes en pleine fin
de crescendo, c’est le climax du morceau. Et que ce passe-t-il à
la seconde où cette explosion se termine ? On revient sur une
rythmique seule. Quelque chose de simplissime et pourtant !
C’est bien ce passage qui procure le plus de sensation à
l’auditeur. La rupture est totale, mais il retrouve le même motif
rythmique qu’il entend depuis le début. Celui-ci revient comme
élément stabilisateur après un crescendo. La répétition d’un
thème majeur, c’est ça qui provoque le plaisir immédiat dans la
musique moderne. Pour vous convaincre, écoutez le titre Dracula
Cowboys. J’ai l’impression que ce titre a été créé pour
illustrer ce phénomène… Aux ¾ du titre il y a une succession de
ruptures avec à chaque fois un retour sur la même rythmique. Il n’y
a pas plus transcendant. Et bien Gira utilise cette méthode en
continu sur les cinq premières minutes du titre Mother of the World.
Mais ce qui est dingue, après ce départ parfait, Swans part sur
totalement autre chose. Break à faire pâlir de jalousie Portishead
et la voix de Gira avec une mélodie obsédante.
Cette
nuit-là, je me suis arrêté aux deux premiers titres. J’en avais
eu largement assez. Moi qui me plaignais de toujours entendre les
mêmes choses et de ne plus rien ressentir devant un titre de
musique, j’étais servi : au bout de quinze minutes d’album
j’ai dû me coucher pour évacuer le surplus d’émotion.
Je
passe sur mes journées de cours sans intérêts. Sauf peut-être ce
bon mot d’un ami en amphi : « tu vois la meuf las
bas ? C’est un Pokémon croisé entre smogogo et gros tas de
morve » J’ai bien ri.
Le
soir arrivait enfin et je pouvais retourner à mon amour de Swans (je
le jure ! je n’ai pas fait exprès). The
Seer est
un Cd de post rock. Expérimental parfois (les titres the wolf et 93
ave. B Blues) cinématique de temps en temps avec le titre éponyme
mais surprenant, il l’est toujours. Ainsi, au début du deuxième
cd, Swans invite Karen O pour interpréter un texte de Gira. La
chanteuse punk des Yeah Yeah Yeahs surprend tout le monde ici. Le
titre en question s’appelle Song For a Warrior. Exit le son
puissant et inquiétant de Swans. C’est une vraie chanson folk qui
dure moins de quatre minutes. La belle mélodie, les paroles
poétiques et la voix douce de Karen O sont, en surface, les
ingrédients principaux de cette réussite exploratoire du monde de
la folk moderne. Mais ici, les types s’appellent Gira et Jarboe, se
sont les leaders de Swans. Ils ne vont pas en rester là. Il n’y a
pas de percussion sur ce morceau, c’est pourtant le plus percutant.
Ici la guitare sèche frappe comme une massue. Elle est jouée en
plaqué très sobre et chaque frottement de corde résonne en nous.
Le rythme innocent ne peut cacher la force d’impact de cette
guitare. Et que dire alors du piano ? Extrêmement syncopé, le
piano assomme chaque fin de phrase par un accord appuyé sur lequel
la réverbe est travaillé. L’ambiance est lourde. Noire et
malsaine. Presque gênante. Pour leur première ballade, Swans frappe
fort. La guitare et le piano sont accompagnés par des nappes
abstraites et compactes distillés par les machines de Bill Rieflin.
Tout
est question d’ambiance. L’atmosphère est extrêmement
travaillée. La production de Gira est juste géniale. Rien n’est
là au hasard. Ce violon ici et le violoncelle las bas sont présents
pour construire, apporter une pierre à l’édifice gigantesque
qu’est The Seer. On n’a pas à faire à une accumulation
grotesque de pistes à la Ed Harcourt. Malgré la surcharge
d’éléments, jamais Swans tombe dans la lourdeur, la bouillie, ou
même pire, le « Musesque ».
Revenons
à la forme de The
Seer.
Cet album se compose de deux Cds. Il a une durée totale de deux
heures (tout rond). Le titre éponyme dure 32 minutes. Tandis que les
deux derniers mouvements, A Piece of Sky et The Apostate font à eux
deux plus de 42 minutes. C’est un format rare. 11 titres pour deux
heures de musique. En 2000 Godspeed avec leur album Antennas avait
fait 4 titres pour 90 minutes de musique. Je crois que ça reste un
record à battre. Sur la pochette de The Seer on peut voir une espèce
d’animal menaçant sur fond noir. Est-ce le devin ? La chose
ressemble en tout cas à un chat mal coiffé après une opération
des dents de sagesse ratée. Si je devais pointer un défaut ça
serait peut-être l’artwork. Et encore, il y a un parti pris
artistique et l’image ne peut laisser de marbre.
Le
titre éponyme est une gigantesque cacophonie. Elle commence en
faisant peur. Une nappe électro anxiogène de deux minutes s’étire
sur l’introduction du morceau. Elle brise les oreilles. Envahit
notre cerveau. Elle s’évanouit sur une double rythmique. A partir
de là, Swans va construire un mouvement de post rock cinématique à
la godspeed. De la mort du fracas épouvantable naît un
des plus beaux passages de musique moderne. Et même, avant qu’il
ne se soit totalement éteint, la nappe introductive se faisait
écraser par la nouvelle structure en construction. Là se résume
Swans. Au départ, on croit toujours à un morceau expérimental et
pas écoutable. Mais à chaque fois des motifs nouveaux sont là pour
émerger en « fade in ». Lentement, chaque titre sort du
chaos pour plonger dans un fantastique océan de créativité sonore.
Ainsi, Gira et ses compagnons créent l’attente. Ils nous attirent
en même temps qu’ils ne repoussent. On veut tout écouter malgré
la difficulté d’accès. Comme un examen, Gira teste les auditeurs
pour voir s’ils sont aptes à apprécier leur musique.
Sur
The Apostate, le morceau de conclusion, Swans est passionnant.
Ils enchaînent ruptures et breaks pendant près de 23
minutes. Pas une seconde on songe à accélérer ou à changer de
morceau. Tout s’enchaine si bien… pas un pont de trop, pas un
accord de trop. Le morceau se termine quand il doit se terminer. Il
passe par plusieurs climax et les musiciens se déchaînent
Ainsi le pont à la onzième minute est la parfaite transition pour
la deuxième partie du titre. Ce pont binaire tape très fort mais de
manière subtile. Une nouvelle fois, c’est une incantation. Un
répit avant le déluge finale. Ces formats d’habitude réservés à
l’instrumental pur sont avec Swans, toujours accompagnés par un
vrai chant. Pas des vieux samples de voix comme on peut retrouver
chez Mogwai ou World’s End Girlfriend. Mais un chant avec une
mélodie qui contribue à chaque fois à la construction dans tous
les domaines des structures de The
Seer.
The
Seer marque
une rupture dans la musique moderne. Après avoir écouté cet album,
les autres Cds me paraissaient encore plus fade qu’avant. Ne disons
pas fade, mais plats. Les derniers Cold Showers, Beach House, the
Cribs et Best Coast m’ont jamais autant ennuyé… L’expérience
proposée par The
Seer est
tellement intense. Tellement forte. Tous les codes sont broyés. La
masse de travail incroyable qu’a fourni Gira paye. Pourtant, il n’a
pas la plus belle des voix… Mais ici, qu’importe. C’est
l’ambiance, les sensations qui sont importantes. Les motifs et les
voyages proposés.
Je
ne sais pas si j’irai à un concert de Swans… Oserai-je ? Ce
qui est sûr, c’est que j’ai encore envie de partir loin avec
eux. Ils m’ont sauvé d’une dangereuse routine qui était en
train de m’écœurer de la musique. J’ai retrouvé le plaisir de
l’écoute. Le plaisir de déguster et d’en prendre plein la
tronche et de faire des « woua » toutes les 30 secondes.
Purée ! Ce que je suis heureux d’avoir mis la main dessus.
Dans
quelques jours je quitte Besançon ! Je pars pour quelques jours
à Paris pour le Pitchfork Festival. Sans Léa. Mais avec une envie
décuplé d’écrire sur la musique. Enfin ! À moi the
Walkmen, Chromatics, Grizzly Bear, DIIV et tant d'autre ! C’est
sans doute la plus grosse affiche de musique indé de cette année.
La route du rock avait aussi frappé fort, mais là, c’est juste
exceptionnel. A très bientôt à Paris alors ?
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