mercredi 29 février 2012

Islands, A Sleep And A Forgetting

A Sleep and a Forgetting, Islands, 2012
ANTI-

Il y a eu plusieurs séismes en Amérique du nord en 2003.
Mais pour une fois, ce ne sont pas les Etats Unis qui ont servi de théâtre aux épicentres de ces tremblements de terre. Déjà, début janvier, il était annoncé que le "super méga groupe indépendant de l'année" allait être canadien. Ils ont un nom d'animal, ils ont l'air un peu fou et en plus ils font du lo-fi.
Bingo.
Ils s'appellent the Unicorns et leur Cd "who will cut our hair when we're gone" va tout casser. Et c'est exactement ce qui va arriver. Le succès était programmé. Critiques élogieuses (le 8.9 de pitchfork) et influence étonnamment importante à leur concert. The Unicorns enchaînent la même année une tournée mondiale... un début de carrière parfait en somme.
Mais, un canadien en cache un autre.
Nick "Diamond" Thorburn
Un collectif, plus qu'un groupe, du nom de Broken Social Scene qui était pour le coup absolument anonyme et pas attendu par qui que ce soit à plus de 100 mètres de certains quartiers de Montréal sort fin 2003 un grand disque de musique moderne: "You forgot it In people": Magnifique brouhaha, capharnaüm grandiose et morceaux plus héroïques les uns que les autres. "You Forgot It In People" pourrait aisément être la bande son des douze travaux d'hercules. Le souffle épique mené en grande partie par de l'instrumental (60% de l'album) nous amène du premier morceau "capture the flag" à la conclusion "Pitter Patter Goes My Heart" en surtension et le coeur à 100 à l'heure. Avec quatre guitares à la Titus Andronicus, les titres "cause = time" ou "lover's spit" font office de tornades au milieu de la tempête que provoquera les 12 titres de "You Forgot it in People".
A noter que c'est le collectif Broken Social Scene qui fera émerger Feist au niveau de la scène internationale.
Les excentriques de the Unicorns avaient choisi un petit groupe pour faire leur première partie qui venait de sortir un petit ep: Arcade Fire.
La chose est comique quand on sait la tournure que vont prendre les choses. Sur 100 personnes, 75 connaissent Arcade Fire, 5 connaissent the Unicorns. (D’après un sondage TNS Sofres).
La même année, l'aventure des Unicorns prendra fin brutalement sur scène. Le leader, Nick Diamonds (que Dieu le bénisse) quitte la scène, insulte une dernière fois ses deux compagnons et déclare ne plus supporter son train de vie. Ainsi the Unicorns meurt au sommet de leur fulgurante carrière. Diamonds prend des vacances et plus aucun son n'émanera de son pied à terre en Californie pendant plus de trois ans.
Entre temps, le Canada ne l'a pas attendu pour s'inviter au rang de pôle majeur et plaque tournante de la musique en général. Que ce soit avec Dan Bejar avec l'explosion de The New Pornographers ou de Destroyers ou même avec l'arrivée fracassante en 2004 de Funeral d'Arcade Fire. Il y a également le départ prometteur-menteur de Patrick Watson avec Channel 9 et plus tard les francophones de Karkwa qui se faisaient connaître avec leur second album, Les Tremblements s'immobilisent. N'empêche, Karkwa sont les derniers français depuis Charlebois à faire paraître leur "Tounes" dans le top 50 canadien (avec "le pyromane" il me semble...)
Bref, c'est donc oublié du grand public mais attendu des critiques que Nick Diamonds revient avec son nouveau groupe accompagné de son ancien batteur (ex unicorns) J'aime Tombeur (c'est son nom) sous le nom d'Islands.
En 2006, leur premier cd s'appelle "Return To The Sea" avec à la guitare et à la production Will Butler (le frère de Win) et déjà Islands s'inscrit comme la juste évolution des Unicorns: Toujours peu accessible mais contenant pour une fois des motifs de grande beauté. L'attente construite pour arriver à l'accord juste qui frappe et accroche. De doux moments (Swans) et d'irrésistibles balades (Don't Call me Whitney, Bobby et Bucky Little Wing).
Il y a presque six ans, j'entendais pour la première fois "Return To The Sea" et sa superbe ouverture. J'étais en vacances, en juin 2006, chez mon frère alors au chômage, je revenais de la claustro Martinique pour retrouver les espaces des Alpes. Et c'est sur une longue et lente sinueuse route de montagne que mon frère avait glissé le fameux "Life After Death". A cette époque alors, Islands était pour moi un groupe qui prenait le temps d'être décalé. Où la basse syncopé couplé avec le riff heureux et léger étaient en symbiose avec le balancement des routes. Pour mon frère, c'était le reflet de son "dépit d'avoir du temps de libre" et pour moi les vertigineux presque 100 jours de vacances qui m'attendaient: joyeux, mais pas beaucoup plus.
Plus tard en 2008 Islands sort leur deuxième cd, Arm's Way. En France il fut accueilli avec un certain succès. Je suis prêt à parier que ce succès français est largement dû à Deezer. A la rentrée 2008, Deezer est en plein boum: son interface vient d'être refaite et son nombre d'adhérents se multiplie de jour en jour. C'est à ce moment-là que la plateforme musicale avait choisi de mettre en page d'accueil le second cd d'Islands durant presque deux semaines. Paradoxalement, Arm's Way n'est pas le meilleur album du groupe canadien. Trop symphonique, trop pompeux, trop de violons dans tous les sens. Il y a toujours ces mélodies classes (The Arms, Kids Don't Know Shits) mais sérieux ça devient carrément nimp' au bout de la première minute. D'ailleurs, ça a un effet presque comique à la longue.
Un an plus tard, ils commettaient leur pire forfait, ovni en France, "Vapours" est passé inaperçu et pour cause. A partir de la 10ème seconde du second titre No You don't on comprend que Nick Diamonds a totalement craqué. Electro moche, sons ringards et le vocodeur sur Heartbeats sont autant de choses qui font de Vapours une erreur avant tout autre chose.
Accueil des critiques en forme de grand écart. Islands après un départ en or, continue à tracer sa route dans le monde indépendant sans plus d'éclat, le génie les ayant délaissé. Vivant comme n'importe quel groupe malgré le prestigieux passé des Unicorns, est désormais très très loin derrière eux.



Avec A Sleep And a Forgetting, Islands devient un drôle de mutant : il y a du Tindersticks la dedans. Le Tindersticks de la fin des années 90 avec « Curtains » et « Waiting For The Moon ». Il y a cette même orchestration riche et classe où la finesse et l'assemblage des pistes sont une marque de fabrique. Là où Arm's way devenait vite trop gras, A Sleep s'affine avec richesse. Le morceau d'ouverture « In A Dream » illustre cette volonté d'être sobre et complexe à la fois. Deux guitares, quelques violons, une section rythmique, des claviers mais Islands reste calme. Tout s’enchaîne avec subtilité, chaque morceau devient un océan de sons ultra épurés. De plus Nick Diamonds a peut-être enfin trouvé la bonne voie. Il arrête de passer d'une octave à une autre sans arrêt. C'est désormais dans les tons les plus graves que ça voix évolue le mieux... c'est plutôt agréable après l'Auto Tune de Vapours et les glapissements de Arm's Way ! Le chant de Diamonds sur « Lonely Love » est magique.
Il y a également du regret dans ce cd. Chose habituelle, Diamonds s'inspire d’événements récents de sa vie pour écrire ce cd on parle beaucoup de sentiments impossibles à montrer, d'actes manqués et de larmes qui ne viennent jamais. Islands rajoute à ses crises existentielles quelques moments de grâces irrésistibles (comme le poignant « This Is Not A Song », qui vous mettra forcement à genoux) et vous obtenez la recette de A Sleep and a Forgetting : des textes graves et bizarrement sérieux pour Islands.
Du dépouillement élégant du plus beau titre de l'album « Oh Maria » au riche « Never Go Solo » en passant par l'étrange rythmique du très classe morceau de clôture « Same Thing » Islands se hisse au niveau de ces groupes classes qui savent placer des multitudes de pistes dans des grands environnements sobres. J'aime cette fine obscurité dans laquelle nous sommes forcés de plonger avec joie. Et ce qui est fou, c'est qu'on y retourne à chaque fois. L'unité de l'album nous engloutit sous sa masse et nous empêche de trop bouger et lorsqu'enfin on se dégage, « Hallways » reste gravé dans notre gorge. Impossible de se défaire tant les 11 titres sont justes bons et prenants. En plus son format frôle la perfection : 37 minutes pour 11 morceaux, ça c'est très bon.
Le seul petit point noir de l'album c'est le titre « Cold Again ». On ne sait pas trop ce qu'il fait là. Il casse l'univers et l'élan mélancolique au milieu des titres « Lonely Love », « Oh Maria » et « Don't I Love You ». Comme un anachronisme. Je ne remets pas en cause la qualité du morceau, mais plus son insertion et peut être même son intérêt. Mais ce n'est qu'une poussière dans les beaux motifs dessinés par Islands sur tout le reste de l'album.
Et devinez quoi... Islands est accessible ! Nick Diamonds a tout fait pour qu'on trébuche sur A Sleep And a Forgetting et ça ne m'embête pas de tomber pour Islands. Je suis même à genoux.


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