vendredi 30 novembre 2012

Swans, ou, je ne suis ni russe ni bisontin, j'éprouve cependant un certain amour pour les choses étranges


L'action se déroule fin juillet 2012

Le chant n'est pas mon point fort... c'est un de mes très grands regrets. Chanter juste est un rêve. Mais d'après mes expériences passées cela risque de le rester encore quelque temps.
Je me souviens, en toute première année de guitare, mon prof m'avait demandé de reproduire à la voix une suite de notes qu'il faisait à la guitare. Je m’exécutai. S’ensuivirent dix très longues secondes où je m'entendais m'enfoncer un peu plus chaque instant. Rouge, transpirant et honteux je continuais...
Le calvaire se termine. Je fixe mon prof qui lui a la tête baissée et le sourire crispé. Il murmure tout bas « ...ouais...ouais... », Il relève la tête et en serrant les dents me dit très gentiment « ta voix n'est pas encore totalement posée ».
Merci.
Il y a cette autre fois en classe de troisième. Sauf que là, j'étais en train de muer. Le prof de musique, un peu fou, un peu sympa et très sévère derrière son piano, a un jour eu l'idée de me faire chanter seul devant la classe. C'était un gospel du nom de « Freedom ». Sous les rires lâches de la moitié de la classe et les expressions emplies de pitié et de compassion de l'autre moitié, je me lançai. Aujourd'hui encore, je n'ai pas oublié ce moment. Il m'arrive parfois aujourd'hui de me lever en sursaut dans la nuit paniqué. Je voudrais oublier ces 2 minutes.
Ce prof de musique, au moment de ma prestation avait porté son point à sa bouche et fixait sans broncher son pupitre. À un moment, il ferma les yeux et se gratta le menton : il était en pleine concentration. Je fini la partie qu'il m'avait indiqué. Il resta silencieux. La classe entière retenait sa respiration, seul un bon ami assis tout au fond de la salle dans la rangée du milieu n'arrivait pas à réprimer son fou rire. La tête dans ses bras, le corps écroulé sur la table, il ne put retenir ses rires. Et même lorsque le prof lui mit quatre heures de colle il ne pouvait s’arrêter. Je retournai à ma place (à côté de lui justement) et lui mis un coup de coude dans les côtes. Il était irrécupérable.
Le prof ne fit chanter personne d'autre cette année-là.
C'est pourquoi je suis constamment frustré lorsque j’entends quelqu'un chanter juste. J'aimerais tellement faire pareil.
Bref, dans le rock, il y a le défi de la plus belle voix. C'est un concours sans fin, mais un concours auquel tous les musiciens participent. C'est le plus complet, le plus beau et ce qui le rend encore meilleur, c'est que ce n'est jamais le même gagnant suivant l'époque.
La couronne de la plus belle voix a sans doute appartenu un temps à Elvis Presley. Le grand public a ensuite adoubé Freddy Mercury sans oublier les fantastiques Marvin Gaye et Roy Orbison. Combien de vainqueurs ? Combien de prétendants ? Son accessibilité fait également partie de la beauté de cette musique.
Mais moi, mon champion récurrent c'est Scott Walker.

En 1969 Walker sortait son quatrième album en solo. À cette époque il est connu et reconnu et connaît donc un grand succès public. Pourtant ce cd, nommé sobrement Scott 4, va faire un four (lol!) monumental et Scott Walker sera envoyé dans l'anonymat pendant quelques années avant de revenir pour le meilleur et pour le pire.
J'ai envie de dire « évidemment », Scott 4 est considéré aujourd'hui comme son meilleur album. De toutes ses créations, Scott 4 est la plus aboutie, composée de très beaux arrangements pop baroques servis par une voix incroyable.
La recette fait mouche tout au long des dix titres qui composent ce cd.
On dit que l'on mesure la force d'un cd par l'influence qu'il a dans le futur. De The divine Comedy à Arcade Fire, tous ont une filiation certaine avec Scott Walker et son fameux Scott 4. D'ailleurs la voix, et le physique (!) de Neil Hannon ressemble fortement à celle de Scott. Un mimétisme revendiqué.
Longtemps j'ai considéré Scott Walker comme LA voix du rock. Beaucoup arrivaient à sa hauteur mais personne n'égalait ce charme, ces intonations si particulières propres à cet artiste. Son titre « The World's Strongest Man » me servait de référence en matière de beauté vocale.
Mais, chaque roi doit un jour céder sa place. Et c'est cela qu'est chouette avec la musique, on n’attend pas que le roi décède pour lui trouver un héritier. Il peut y en avoir un nouveau toutes les semaines. En l’occurrence le nouveau suzerain dans le domaine vocal pourrait bien s'appeler Jannis Noya Makrigiannis. Et comme présentation hors musique je vais juste dire qu'il est danois.
Tiens, ça me donne envie de parler de la vitalité de la scène de Copenhague, mais je vais me retenir. Allez juste jeter une oreille auprès des groupes comme Iceage, Agnes Obel ou I Was a King
Mais le groupe qui m'intéresse aujourd'hui, enfin plutôt le projet solo, c'est Choir Of Young Believers et leur dernier cd Rhine Gold. Mené par Makrigiannis.
Mais quelle beauté ! Quelle grâce ! Sérieux ! Ce n’est pas humain d'avoir une voix aussi belle ! Déjà dans son premier cd Makrigiannis (que je vais abréger Makri, car le nom en entier est trop lourd à écrire) qui portait le nom de « This is for the white in your eyes » avait montré tout le potentiel que son chant cachait. Sur leur dernier cd, ce potentiel explose.
Je vais être honnête. Tout est fait dans Rhine Gold, pour que sa voix soit mise en valeur. L'étrange instru que l'on pourrait presque qualifier de pauvre met en relief ses cordes vocales. Très limitée, elle se réduit à une batterie très discrète, une guitare timide et quelques nappes électro par ci par là.
Enregistré très en arrière, l'accompagnement est juste là pour se faire oublier.
Makri s'est également bien fait plaisir avec la réverbe. Autant l'avouer, elle est plutôt balèze, surtout sur le titre « Sedated ». Mais que pouvons-nous dire lorsque Makri ouvre la bouche et laisse échapper d'entre ses lèvres ces mélodies grandioses ?
Cette voix est juste incroyable.
Ça faisait très, très longtemps que je n'avais pas eu des frissons au contact d'une voix. Imparable. Makri est là pour nous faire plier. Le titre « Have I Ever Truly Been Here » fait partie de la plus grande sensation musicale de l'année. Et c'est avec joie que je le vois prendre la place de « The World's Strongest Man » pour le statut de référence.
Ce morceau est emblématique de Rhine Gold. Une pauvre guitare sèche sur le dernier refrain, un synthé sur le reste du morceau, et Makri.
À mon enterrement, j'aimerais qu'il soit là pour chanter the foreground de Grizzly Bear pour ma mise au tombeau. Ça aurait carrément de la gueule. Avec le Prince Miiaou à la guitare et Stuart A. Stapples pour le chœur. Ça va être chouette.
D'ailleurs, j'ai vu que Grizzly Bear avait mis en ligne un autre titre à paraître sur leur futur album Shield prévu pour septembre. Il s'appelle Yet Again. Je viens de l'écouter.
Et bien.
Que dire ?

Bah en fait, j'ai peut-être trouvé un autre morceau de référence...
Oui, ça va très vite

C'est en tout cas avec Yet Again et Rhine Gold dans mon Mp3 que Léa m'embarqua pour une drôle d'histoire. Et cette histoire commence sur une pauvre route du Jura.
Dans un bus, dont la conception aurait fait jalouser un mauvais technicien de jigouli, en direction d'un village à mi-chemin entre le coin le plus perdu au monde et la forêt la plus austère de Franche Comté. Nous allions à un festival de musique un peu naze « c'est du bon black métal atmospheric » me vendait-il.
Léa aime le métal « moi mon truc, c'est le métal » répétait-il sans cesse de sa drôle de voix haut perchée. Il est vrai que dans ce domaine musical c'était un véritable puits de science. D'ailleurs on le surnommait « la truffe » dans l'assoce musicale où nous étions...
Bon, nous nous rendions alors dans le riant village de Liesle (13 habitants) me demandant encore comment j'avais pu me faire embarquer dans ce bus pour ce festival dans ce village.
Sur les sièges parallèles aux notre, se trouvait un adolescent qui ne devait pas être beaucoup plus jeune que nous. Il s'était paisiblement endormi, en bavant, sur les genoux d'une vieille madame. Il avait des boutons plein la tronche et un épais magazine de jeux vidéo sur les genoux. Il avait un gros casque, si gros qu'il faisait passer le « beat by dr. Dre » pour des écouteurs de danseuses. Une oreillette de son casque devait faire la moitié de son visage, les deux ensembles devaient constituer la taille exacte de sa tête.
La vieille personne qui devait subir l'intrusive présence de l'individu au gros casque fulminait contre ce dernier. Mais pas trop fort non plus pour ne pas le réveiller. C'était d'ailleurs assez amusant. Sa bouche et l'expression du visage montrait presque du dégoût pour le jeune homme alors que ses yeux n'étaient que tendresse et l'on sentait que quiconque osant le réveiller aurait à subir son courroux.
Léa me secoua le bras : « Tu sais, lapin, il n'y a pas de fumée sans feu. Me dit-il doctement 
- Certes, répondis-je
- Tu connais Mewithoutyou ? (je fis oui de la tête) Ils ont sorti leur dernière album il y a quelques heures. Le titre d'ouverture « February, 1878 », connu depuis plusieurs mois, avait affolé pas mal de gens par son nouveau potentiel. Y a moyen que ce soit un gros truc. Bam ! Dit-il en mimant une explosion avec ses bras.
- Je ne suis pas fan de Mewithoutyou
- et moi j’suis pas fan de toute la daube que t'écoutes! »
Léa me fixait désormais et la proximité de son visage par rapport au mien était assez gênante. De la fumée sortait de ses naseaux et soudain je sentis en lui son courroux. Mais il était immobile... il me rendait aussi nerveux que lors de la scène final du projet blairwitch. Tel un reptile à l’affût du moindre mouvement de sa proie. Je lui lançais de temps en temps des petits coups d’œil furtifs pour voir s'il bougeait. Il n'en était rien. Enfin il déniât de nouveau ouvrir la bouche : « Grand, je viens de trouver une perle qui seedait tranquillement dans mon pc. Écoute donc leur dernier album. C'est un bijou de rock indie, shoegaze et lo fi. Je le place en tête de mes sorties de cette année. Une merveille te dis-je. » Il s'était auto-calmé.
Le bus continua son trajet sur une départemental en aussi bonne état que l'autoroute Moscou-Vladimir en période de crue.
La conduite douce du chauffeur réveilla le jeune endormi en sursaut qui percuta le menton de sa voisine et fit tomba son casque à quelques centimètres de nos sièges. Entre les jurons de la vieille et les excuses du jeune nous pûmes discerner non sans mal quelques notes qui s'échappaient des énormes écouteurs. Je n'ai pas reconnu le titre. Par contre, les yeux de Léa se sont dilatés, j'avais l'impression d'être à côté d'un varan devant un seau de viande fraîche ou peut être un caméléon en surchauffe, quoiqu'il en soit, Léa rapporta le casque et le ramena à son propriétaire. Je fis le reste du trajet seul pendant que Léa, accroupie façon Guy Forget, en face de son nouvel ami discutait avec passion en secouant la tête et les bras. Ils débattirent ainsi jusqu'à destination du titre (je l'appris plus tard) « Pilori » de son groupe modèle: Birds In Row
Le paysage défilait sous mes yeux mis clos à allure modérée. À travers la fenêtre s'étalait la monotone et soporifique campagne de Franche Comté. À un vallon couvert d'arbre succède un vallon couvert d'arbres...
Cela fait maintenant trois ans que j'ai quitté Clermont-Ferrand pour venir à Besançon. J'ai été rapidement étonné par l'étrange provincialisme, qui est d'habitude réservé aux vieillards bas du front, qui ici touche tout le monde. Toutes les classes d'âge.
D'ailleurs de ce provincialisme découle un état d'esprit assez réactionnaire. Obtus au changement. Ce qui est assez étrange, voir paradoxal, au vue du glorieux passé politique de la région.
Léa est bisontin, mais son environnement l'importe peu. Il est à la fois hors et en avance sur son temps. Pour lui, tant qu'il n'y a pas au moins quatre cordes quelque part c'est sûrement superficiel et sans grand intérêt. Il ne s'ancre dans aucuns débats et n'allume jamais de discussions polémiques. C'est un chouette type.
Le front collé contre la vitre, j'admirais un troupeau de vaches assoupies à l'ombre d'un grand arbre que Courbet avait sans doute peint. Un vallon couvert de forêt succède à se paysage naturaliste.
« Mewithoutyou... » Ce nom me disait quelque chose « ils font du shoegaze eux?! »
La voix enjouée (et en pleine mue) du jeune avec lequel Léa avait entamé la discussion interrompi mon interrogation :
- « Pilori » c'est la matière. C'est la surcharge de l'extase. C'est la joie, c'est la vie...
- Jusqu'à l'apothéose, enchaîna Léa, c'est un « Nile Song » moderne, c'est la mort de la pensée conceptuelle. C'est le break du siècle à 00:32
- C'est le rock, la vitale brutalité du métal
- et le tout en moins de trois minutes, conclurent ils ensemble.
Je levai les yeux au ciel et retourna à la contemplation de l'interminable bois que le bus traversait à deux à l'heure.

Nous arrivâmes à Liesle. Nous vîmes une grange/salle de concert à l'écart du hameau. Léa me tira par la manche. Je le suivis. Il n'y avait personne.
En attendant l'ouverture de la « salle de concert » j'allai m'asseoir sur une meule. Nous avions deux heures à attendre (2h!). Bizarrement nous étions les premiers arrivés. C'est rare lorsque cela m'arrive, mais à ce moment-là, j'avais envie d'étrangler Léa. En plus de m'avoir traîné dans ce trou paumé pour un concert qui ne me disait rien, il m'y avait traîné avec deux heures d'avance.
Il s'assit au pied de la meule. Il leva la tête et plissa les yeux à cause du soleil de face. Il m'avoua tout bas « euh, je t'ai dit de prendre un sac de couchage ? Ouais parce que le prochain bus passe demain vers 11h... » Sa voix s'affaiblissait au fur et à mesure de sa phrase. Je le regardai.
Je le dévisageai. Enfin, je soufflai et sortis mon Tsugi de mon sac et commençai à le lire.
J'avais décidé d'ouvrir mes chakras et de laisser passer mon orage interne. Il me le paiera plus tard.
Je me rendis compte que j'avais pris le Tsugi du mois dernier que j'avais déjà lu « Seigneur... ».
Léa me demanda s'il pouvait alors me l'emprunter. Je lui tendis gentiment.
Les minutes passèrent et je commençai à m'assoupir le dos contre la meule.
La voix de Léa me tira des limbes :
- t'as entendu parler de cette histoire avec les Pussy Riots ? Me demanda-t-il en lisant un article sur elles. C'est fou...
Je maîtrisais ce sujet. Je décidai alors de lui faire la Leçon sur ce groupe de punk de la même manière qu'il me la faisait si souvent en me parlant d'obscurs mouvements musicaux estoniens.
« En plus, cela fera passer le temps » me disais-je.
- T'avais entendu parler de cette histoire ? Il n'y a qu'un encadré dans ton Tsugi à ce sujet.
Je me craquais les doigts et pris mon souffle :
- Il faudrait peut-être porter Nadezhda Tolokonnikova, Yekaterina Samutsevich et Maria Alyokhina au rang de symbole. Le symbole de la société russe.
Tu vois, ces trois femmes sont les principales leaders des fameuses Pussy Riots. Ce groupe de musique qui a exprimé son opinion sur le système autoritaire politique russe a été jetée en prison il y a quelques mois.
Cela faisait longtemps que Poutine cherchait une raison pour les mettre à la lioubienka. L'église lui en a enfin donné une : Elles ont blasphémé dans une église moscovite.
Blasphème. Elles sont jugées pour blasphèmes ! Tu te rends compte ?
Et comme on sait qu'il n'y a aucune séparation des pouvoirs en Russie, Vladimir Légoïda, haut placé de l'église orthodoxe, a déclaré qu'elle devait répondre de leur « sacrilège » et Poutine a juste dit « qu'il n'y avait rien de bon » dans l'action des jeunes femmes activistes. Quant au sénile patriarche Kirill, il demande la peine la plus forte.
Poutine aime bien donner son avis sur les affaires en cour, et sa participation dans les sentences de certains condamnés ne font aucun doute. Je ne sais pas si ça te dit quelque chose l'affaire Ioukos ? Demandais-je. Il me fit signe que non.
C'était une fantastique manœuvre pour pouvoir prolonger la sentence du magnat du gaz Mikhaïl Khodorkovsky en 2010. Cela fait 9 ans que Khodorkovsky est en prison pour s'être opposé politiquement à Poutine... mais ce n'est même plus important maintenant au vue du scandale qui approche.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la population russe ne soutient pas les Pussy Riots et leur combat. Ce n'est qu'une minorité de « blogueurs » et d'activistes qui forment des regroupements anti Poutine.
Poutine dispose d'une assise populaire très impressionnante. Sans avoir truqué les élections en mars 2012, il aurait quand même été élu dès le premier tour. Ce qui confirme deux choses : à la fois la stupidité de ce dernier et l’aveuglement du troupeau qu'il dirige.
J'ai eu la chance d'aller faire un tour en Russie l'année dernière, tu te souviens ? Je pense que plus des 90% des gens que j'ai rencontré la bas sont xénophobes, homophobes et pro poutines. Le peuple russe est un peuple qui est fait pour être dirigé et pour insulter son prochain de « Chiourki ». Aveuglé par l'ultra libéralisme et le populisme nauséabond du parti politique Russie Unie, il est prêt à gober n'importe quoi.
Je ne parle même pas du statut des femmes. C'est une catastrophe.
J'ai également été révolté par le nombre de svastika pintes partout dans Moscou. Ce pays qui a 50 ans de retard n'arrive pas à faire autre chose que du nationalisme qui repose sur la soi-disant grandeur de leur pays. Ils n'ont que « la grande guerre patriotique de 42-45 » à la bouche pour justifier leur puissance. Ils ont également le nom de Joukov qui « avait autant de médaille que Staline » qui avait arrêté l'armée allemande aux portes de Moscou.
Je rappellerai juste que si pour eux la guerre c'est 42-45 c'est parce qu'ils étaient occupés à partager la Pologne en deux avec le troisième Reich en 39.
Alors oui, je porterais les trois leaders des Pussy Riots au rang de symbole. Symbole du contre-pouvoir présent pour tenter d'endiguer tous les excès commis par les apparatchiks politiques russe.
Ces féministes activistes ancrées dans le XXIe siècle risquent de se voir infliger sept ans de prison ferme par des types en nuques longues à la ramasse la plus totale.
Léa me regarda avec des gros yeux ronds étonnés.
- Oui, j'en avais entendu parler, et ça me révolte, terminais-je
Nous passâmes le temps qu'il nous resta à parler de foin, du fait que c'était cool d'être assis dans un champ et du moyen qu'on allait trouver pour passer la nuit.
Je n'ai jamais été fan de Mewithoutyou. C'est dur de percer la beauté de ce genre de groupe au « spoken word ». Néanmoins, il faut leur reconnaître une force : la source de leur inspiration.
Les frères Weiss, qui forment le noyau dur du groupe, baignent dans la religion depuis toujours. Il était donc impensable que celle-ci ne soit pas présente dans leur musique. Comme une commode Louis XIV, ce groupe d'indé post-hardcore possède un nombre incalculable de tiroir. D'origine juive, élevé dans la tradition musulmane du soufisme ces frères de Philadelphie ont également vue leur mère se convertir au protestantisme. Wut ? Ces références religieuses sont notamment présentes sur le titre « Fox's dream of the log Flume » il y a des rapports à Dieu constants. Il est ici présent comme témoin et interlocuteur.
« There's obviously no god but there's definitively a God ». En rupture dans les paroles et dans l'instru. À l'image de l'album entier qui vient de paraître : « Ten Stories ».
C'est vrai que souvent dans un disque il y a toujours 1 ou 2 titres dit « à tiroir », mais là, c'est simple, tous les titres le sont. C'est un cd de rupture. C'est d'ailleurs le mot de l'album. Le qualificatif qui lui correspond le mieux : Rupture. Cassure. Brisure...
Il y a du Modest Mouse de l'époque « Lonesome Crowded West » la dedans. Un rock Indie fou mélangé avec la richesse de Grizzly Bear : Breaks et ponts dans tous les sens.
Revenons sur « Fox's dream ». Ce titre c'est le « Gravity Rides Everything » de Ten Stories. De par sa guitare et ses dissonances avec la voix. Et il y a ce break terrible au 2/3 du titre qui le fait pénétrer dans une autre dimension, à la recherche de nouveau motifs musicaux, de nouveaux thèmes...
« Fox's Dream » est le morceau complet de l'album qui caractérise à la perfection ce dernier opus de Mewithoutyou. Il y a tout : Dieu, les rebonds dans les mélodies et le spoken words à la frontière du chant hardcore.
Il y a un truc coolos avec Mewithoutyou. On peut écouter le début et la fin d'un même morceau on ne reconnaîtrait pas le titre. Un peu comme le fameux « 2+2=5 » de Radiohead.
Du beau boulot.
Je crois que l'on peut créer un lien entre le leader d’Of Montreal, Kevin Barnes et Mewithoutyou. Les deux s'attachent à un élément qui peut provoquer du rejet. Ils se consacrent à ce qu'ils aiment (ou adorent) sans se soucier du regard des autres. Drogues pour Barnes et religion pour les Weiss.
« We want our film to be beautiful not realistic » hurlait Kevin Barnes lors du climax du grand « the past is a grotesque animal » en 2007. Il est alors en total rejet. De la société, de ses proches, de lui-même. Il souhaite s'échapper et cela par tous les moyens possibles.
Barnes sait que ses seuls occupations et plaisirs sont artificiels et dangereux. Et c'est peut-être là le point d'orgue d'Hissing Fauna, are you the destroyer ? Il comprend qu'il court à sa perte mais il fonce avec le sourire « At least I author my own disaster ». Il se dit qu'il doit tout faire pour améliorer son existence et avoir le contrôle de sa vie malgré les différentes sphères sociales qui l'emprisonnent, le coincent ou même le persécutent.
De tous ceux en pleine dégénérescence, Kevin Barnes pense qu'ils se rattacheront à un élément qui produit encore plus le rejet: la spiritualité, la drogue, le sur naturel... Tout ce qui peut être critiqué ou non admis par un groupe sociologique est bon à prendre. Mais ce rejet provoqué contribue à un regain de forme. Car à ce moment-là, Barnes et les autres sont à nouveau remarqués, ils existent !
Ils veulent se réfugier dans quelque chose qui leur font du bien directement et indirectement. Dans les moments de détresse, Barnes semble nous dire qu'il y a un besoin de dépendance à l'interdit que l'on se doit d'assumer pour vivre pleinement les plaisirs ou sensations que nos procurent ces interdits.
Dès les premières secondes de Ten Stories, sans ajout de pistes, Mewithoutyou prend nos viscères, les étire et les plonge dans un gouffre électrique.
Dans les mouvements introductifs de February 1848, Weiss avec sa voix comme seul outil arrive à faire bousculer l'écoute du titre d'ouverture dans quelque chose d'énorme. Weiss s'arrache, on chavire. Il nous promet une puissance de feu sans commune mesure, mais à tort. Car le reste de l'album est plus apaisé.
Malgré tout, le titre d'intro reste un des morceaux forts de l'album : C'est une histoire en trois temps. Une histoire construite, c'est un boulot d'architecte. C'est un enchevêtrement de couloirs, d'escaliers et de vastes et grandioses salles de réceptions.
Cette première minute illustre à la perfection l'idée de transcendance pop.
C'est un thème basique, construit à partir d'un trio rock moderne, qui devient un crescendo dévastateur. Au lieu d'assister à un ajout de piste comme dans n'importe quel crescendo classique, il y a un nivellement par le bas de la structure musicale. On va provoquer l'attente et la réaction chez l'auditeur. Un seul élément du motif en question va se développer. Sur « february 1848 » c'est la voix par exemple. Il y a également une magnifique transcendance pop sur le long du titre « No Futur No past » de Cloud Nothings. Le deuxième album des Foals, Total Life Forever est en grande partie construit de cette façon également.
La répétition est volontaire et provoque l'attente. C'est sans doute un des procédés du moment le plus efficace dans la musique moderne.
Assis dans la paille, Léa pianotait sur son téléphone pendant qu'une file d'attente avait commencée à se former devant la grange/salle de concert. Une quinzaine de personne, soit une augmentation de plus de 100% de la population de Liesle. La plupart venait en voiture et le champ dans lequel nous attendions se transformait peu à peu en une sorte de parking improvisé.
Vers 18h, nous commençâmes à nous diriger vers les portes d'entrées. Léa me parlait des groupes qu'on allait voir, je me demandais comment on allait dormir. À chacun ses préoccupations... Je pensais appeler une amie qui avait récemment eu le permis mais j'avais peur de déranger.
Je n’aime pas déranger les gens.
J'aime pas trop non plus me pointer à l'improviste dans des concerts pouraves.
Hmpf, ce n'était pas mon jour.
La salle des passagers du zinc correspond à tous les clichés que l'on peut se faire d'une salle « underground » situé en plein centre-ville, mais je crois que la grange de Liesle la bat à ce niveau.  La première chose que l'on remarque en entrant dans cet antre c'est le sol jonché de paille. Il y a aussi une meule. Une meule de foin dans la salle de concert ! J'avais juste l'impression qu'ils avaient posé quatre façades en bois pour délimiter l'espace réservé aux concerts.
Mais c'est à ce niveau-là que la magie opère. La rencontre entre musique et campagne profonde : le sol de paille était poisseux. Je pataugeais dans la bière.
Il y avait un comptoir (une planche de bois horizontale et deux verticales) et un mec affalé dessus. Les néons et les guirlandes de mauvais goûts rappelaient une kermesse de fin d'année dans une école maternelle. Les lumières s'allumèrent tout d'un coup... On y voyait toujours que dalle.
« Des ampoules basses consommations » souffla Léa, et ses yeux s'éclairèrent.
Comme par habitude désormais, nous allions nous asseoir sur la meule. Étonnamment la salle se remplissait bien. Un flux réduit mais constant de spectateurs allait et venait.
« Je crois que c'est le premier concert de ma vie que je fais avec toi où il y a plus de 20 personnes » dis-je à Léa.
Je regardai sur un flyer le premier groupe à passer : « the devil' son »
- Dis donc Léa, t'as pas l'impression qu'ils se foutent de notre gueule les groupes de métales avec ses noms ?
- Boarf, t'es mauvaise langue. Ils veulent exprimer des choses...
- Devraient commencer par leur sexualité.
Il fronça les sourcils mais soudainement il m'agrippa l'épaule, siffla et pointa du doigt quelqu'un dans la foule.
- Le type du Bus !
- Demande-lui s'il a un endroit où pioncer...
Il se dirigea vers le quidam en question.
- Bastou ! Lapin ! Tu ne m’as pas dit que tu allais au piou piou festoche ce soir !
- ça m'a pris subitement. Il restait encore des places, dingues non ?
«Incroyable » pensais-je
- Tu viens voir un groupe en particulier ? Où tu viens juste profiter du verre de bière éventé à 1€ ? Demanda Léa
- Un peu des deux j'imagine, sourit « Bastou ». Il y a ce groupe de Post Slowcore qui verse dans le sad rock de temps en temps qui peut être intéressant. The Tears of Evil (« les larmes de l'enfer ») qu'il se nomme.
Je me pris d'un fou rire. Ils me regardèrent se demandant tour à tour si j'étais fou ou simplement crétin. Je me repris. Il est vrai que notre salut nocturne allait sans doute passer par Bastou. Je m'en voudrais de le froisser.
Léa m’introduisit enfin. On se serra la main. Il se présenta un peu. Je lui demandai ce qu'il faisait dans la vie :
- J'écris des Haïkus, dit-il
- J’n’en ai rien à... woua, tu es un peu poète, dis-je avec une petite pointe amicale et ironique dans la voix. Mais je veux dire, sérieux, t'es encore au lycée ou bien ?
- Je travaille comme apprenti chez un fermier de Liesle. C'est lui qui m'héberge ce soir. Mais je passe mon temps à écrire des trucs. Tu vois, un jour je fais des Haïkus puis je vais torcher une nouvelle le lendemain. Vu que je ne fous rien à la ferme j'ai tout le temps. On m'a publié pour la première fois il y a bientôt un an. Et ça fait deux mois qu'on me paye. Le magazine Orientalis. C'est eux qui me payent.
Ils sont spécialisés dans la médecine alternative. Les mecs sont persuadés que la lecture à voix haute de Haïkus positifs peut guérir des maladies. Du coup ils en mettent plein. Le marché du Haïku curatif est un marché juteux, nous fit-il avec un clin d'œil.
Léa siffla d'admiration :
- C'est la chose la plus stupide que je n'ai jamais entendu de toute ma vie, ria t'il.
- Tu es une sorte de voleur feng Shui en fait ? Demandais-je.
- Un peu. Surtout que j'emballe un Haïku en 15 secondes...
Je ne pus m'empêcher :
- Tu te fais combien?
- 10 balles le Haïku. Sachant que j'en envoie quatre par numéro et que c'est un magazine hebdomadaire...
- 160€ par mois enfoiré !
Nous l'applaudîmes. Il fit une petite courbette de reconnaissance.
Le concert fut décevant en comparaison avec la discussion de Bastou. « Le fils du diable fini son concert par quelques jets de flamme et d'un monologue satanique, la salle atone ne répondit rien à l'élan mégalomaniaque du type. Désapprobation, énervement... Ce type devait tenir son nom pour le don qu'il avait d'instaurer l'ambiance la plus pourave dans un lieu déjà craignos. »
Les heures passèrent les groupes défilèrent. Secouer la tête n'était même pas intéressant. Bastou était hypnotisé par la batteuse trop moche de Tears of Evil tandis que Léa et moi testions la contenance d'un fût. La musique, pour une fois, était carrément secondaire.
Minuit était passé depuis bien longtemps, un type s'égosillait sur un micro, Bastou emballait la batteuse citée plus haut dans un coin sombre de la salle et Léa tentait de boire deux verres à la fois.
Sans succès.
Notre fût était vide et la meule de foin était occupée par Bastou et sa copine. Rien ne nous retenait ici. Je voulais rentrer chez moi. Je voulais être tranquilou assis dans mon canap à écouter de la musique. Mais une bonne quarantaine de kilomètre devait séparer mon canapé de mon corps.
Léa me dit qu'il avait une idée. Il me dit rien d'autre et se dirigea vers notre nouvel ami.
Bastou accepta de nous héberger. Nous dormîmes dans la grange. Je commençais à en avoir sérieusement marre de la paille à ce moment-là. Mais pour une fois j'ai pu écouter dans de bonnes conditions quelques titres de Mewithoutyou.
Comme le miroitement de nos chemins se dévoile, l'imagerie de Mewithoutyou prend forme et lentement les grâces apparaissent et hantent les auditeurs que nous sommes. Des images, des scènes, un Dieu, des animaux ou même des Dieux et des idéaux. Voilà le corps, voilà l'âme et le ressort de ce quintet divin.
Je m’endormis sur l’entêtante mélodie du titre conclusif « all circles ». Pas longtemps car quelques instants plus tard, Léa fini le deuxième fût et me demanda si j'étais d'accord pour aller en choper un autre dans la grange de concert. Je lui fis un doigt d'honneur et me rendormi. Une dizaine de minutes passèrent et c'est Bastou qui me réveilla à moitié à poil pour savoir s'il « pouvait me taxer une capote ». Léa s'était endormi la tête sur mon ventre. J'avais de la paille plein la tronche.
- à une condition... Je veux une chambre
- Deal.
Enfin, le bus du retour s'approchait de la gare de la bonne ville de Besançon. Je voulais revoir mon studio, le prendre dans mes bras.
- MewithoutYou a fait du bon job. C'est vrai.
- Dans ton top 10 de l'année ? Me demanda-t-il.
- Carrément.
- Je te ferai mon top de l'année à l'occase...
- T'inquiète, j'ai ce qu'il faut en P.q.
Le bus arriva. Nous descendîmes les jardins de la gare en direction du quartier battant dans le grisant silence du petit matin un jour de repos. Le ciel était gris et marcher nous rendait joyeux. Nous passâmes par feu le pont Battant. Enfin au niveau de la place de la Mairie à quelques secondes de chez moi et à une minute de chez lui, Léa me tendit la main :
- C'était une bonne soirée lapin
- La prochaine me tarde, grand.
Nos routes se séparèrent et, enfin, la porte d'entrée de mon immeuble m’apparut tel le christ à St Thomas.
« Yet again, you’re the only one... »

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Quelques jours plus tard…
Il y a le réveil, mais il y a aussi le lever. Mal au crâne. Aux dents et à la racine des cheveux. La bouche pâteuse, un mal de bide démentiel et surtout, cette envie de vomir forte et constante qui nous prend à la gorge toute la journée.
Il n'y a pas de remède. Le pire c'est quand il faut aller déboucher les différents éviers obstrués durant la nuit par ses camarades. Prendre la serpillière et nettoyer le flux inexorable de vomi qui s'écoule à travers les tuyauteries.
L'envie de bouger est absente.
On est allongé tant bien que mal sur un sol/drap/matelas avec un oreiller/serviette et le mal physique nous clou au sol.
Dans la crasse mais aussi à moitié dans le sommeil et si ça peut faire disparaître un peu les effets de cette monstrueuse gueule de bois, alors on prend. Comme des zombis tentant de nier l'effroyable état dans lequel nous sommes, scotchés sur un sol immonde et inconfortable, on se force à clore les paupières.
Et puis enfin, un certain sens du devoir nous frappe. Il est seulement 10h mais de toute façon, on ne dormira pas plus alors on se force à se lever et là, ce n'est plus le devoir mais c'est la douleur qui nous frappe. Nos veines s'élancent. Notre crane explose...
Il y a aussi cette plaque du sucre sur les dents. Cette sensation de mâchoire lourde accompagné d'une haleine que nous avons nous même du mal à supporter.
Enfin, il y a la panique. Qu'ai-je fait hier soir ?
J'ai eu l'image du singe ensuite. Un babouin au poil roux. J'avais cette scène en tête : le primate frappait des boutons d'une table de mixage comme un taré. Étrange... je ne sais pas pourquoi mais sur le coup ça m'a rappelé qu'une tonne de cd s’amoncelait (de manière numérique) sur mon ordinateur. Une bonne trentaine que je n'avais toujours pas écoutée. Le plus vieux datait de 2 jours et le plus récent de cette nuit. C'était la masse. La masse de données et d'infos inutilisées entrain de pourrir dans mon lecteur.
Je lançai un titre, puis déçu de ne rien ressentir, j’éteignais la chaîne. J'en avais marre d'être totalement improductif. C'est vrai, on se lasse de tout... pourquoi insister quand on ne veut plus entendre ce que l'on écoute habituellement. Briser la routine du cd/critique/cd/critique (~). Mais pourquoi faire ? Pourquoi je m’ennuie des choses dont je me délectais auparavant ? Allongé tant bien que mal dans ma baignoire, les mains sur mon front, j'essayais de contenir le mal de crâne.
Le sol d'une baignoire est dur. Je peux vous le dire car mon dos a carrément dégusté toute la nuit, et qu'en plus d'avoir une gueule de bois monstrueuse j'ai eu le bonus scoliose + 3.
10h02. Pourquoi je suis dans cette baignoire d'ailleurs ?
Ah oui, mais qu'est-ce que je fou là ? Je me levai. 5 secondes. Puis je couru vomir au toilette. Je sorti de ma salle de bain. Je tombai alors nez à nez avec l'un de mes camarades en train de ronfler comme un porc sous la table, une bouteille vide coincé sous son ventre.
Je regarde l'heure : 10h10. Que vais-je faire aujourd'hui ? « Je n’ai pas un CM cette aprèm ? »
Comme une évidence ! Comme une flamme d'un briquet qui se serait allumé grâce à une dernière goutte d'essence ! Je commence ce soir ma nouvelle émission de radio. Enfin. Soulagé d'avoir un objectif.
C’était il y a quelques jours. Bethany, une amie aspirante journaliste, m’appelle en soirée : « j’ai une proposition ». J’avoue qu’à ce moment précis, mon cœur s’accéléra et je sentis qu’une bonne nouvelle n’allait plus tarder à arriver. Je le flairais. « On m’a proposé de tenir une émission de radio, je ne le sens pas de le faire seul. Ça t’intéresse ? ». Je savais que Bethany avait jeté un œil à ce que j’écrivais. « Une émission de musique en nocturne ». Plus qu’un rêve, un fantasme. A cet instant précis, je sautais en l’air. Un point rageur vers le ciel. Tout comme Antennas. Ivre de joie comme si je venais de boire 3 gallons de pure bonheur. J’essayais de me contenir… Je rassemblais mes esprits, me calma un peu et répondis d’une voix claire, posée et sérieuse :
- Ça à l’air intéressant, Bethany. Aurais-tu plus amples détails ? Demandais-je d’une voix mielleuse.
- Oui bien sûr ! Cela serait sur Radio Sud. 101.8 Fm. Le mercredi de 22h00 à 00h00. Et le mieux… on passe la musique que l’on veut ! On a carte blanche. Alors ? Ça te branche ?
- Ouais… ça me branche carrément. Je rêvais déjà des futurs sujets possibles et à comment j’allais baisser ma braguette devant les micros comme dans « Good Morning England ».
Quelques semaines avant ce coup de fil, ma copine m’avait demandé forcé d’envoyer mon dernier article à Bethany : « Elle est déjà dans le milieu, elle, envoie lui ton texte sur Allo Darlin’, ça pourrait peut-être donner quelque chose. En tout cas, faut que tu tentes ». C’est donc ce que j’ai fait. Et me voilà désormais avec ce petit quelque chose en plus. Bethany reprit :
- On fera équipe avec une troisième personne. Je crois que tu le connais. Il s’appelle Léa…
Et qu’avais-je préparé pour l’émission de ce soir ? À vrai dire, pas grand-chose. C’était surtout du vite fait enrobé d’une bonne dose d’improvisation. Avec Léa, on s’éclate bien à le faire en tout cas.
10h20. C’est le début de la renaissance. Et l’accouchement commence en se lavant. Puis on se rase, on se frotte les dents (3 fois) et on termine par les lentilles. Ensuite, on s’habille. Mais très vite, les effets de la gueule de bois reviennent lorsque l’on doit passer sa tête dans un T-shirt ou en se baissant pour faire les lacets de ses chaussures. Alors la torture recommence, mais cette fois ci, on est propre.
C’est là. A ce moment précis que mes oreilles se posèrent sur le meilleur cd que je n’avais jamais entendu. Mais alors, quels mots choisir pour décrire cet objet ? Vais-je encore user d’usants superlatifs ? Pour faire simple je vais commencer par une comparaison. Disons que l’objet en question atteint l’état de grâce du Dark Side of the Moon et la qualité d’Ok Computer. C’est une œuvre d’art intense, complexe, profonde et complète. Ais je le recul nécessaire pour lui apposer un jugement quelconque ? Sans doute que non. Alors, pour la première fois depuis que j’ai commencé à écrire des trucs sur la musique, je vais laisser mon côté dogmatique au fond du tiroir.
Cette année, j’ai adoré des tas de chose. Grizzly Bear, Tindersticks, The Men… J’ai découvert Allo Darlin’, Franck Turner et tellement d’autre ! La liste de mes sensations fortes musicales de l’année 2012 pourrait bien s’étendre sur plusieurs pages. Mais qu’est-ce qu’un bon Cd face au bouleversement individuel provoqué par un album seul ? Je ne parle pas du dernier Godspeed ni de Dirty Projectors qui sont deux Cds proche de la perfection. Je parle d’une galette qui va au-delà de la musique. Qui transcende les structures. Oublie, pulvérise et mal traite tous les codes mis en place. Et bien qu’il s’éloigne de tous terrains sonores connus, je parle d’une déclaration d’amour à la musique. Entre la haine et la passion, je veux parler d’un ouragan
Je parle de Swans et de l’album The Seer.

Lunacy ! Lunacy ! Lunacy ! Face à la puissance et l’impact créé par chaque instant. Tel un cri d’allégresse ! Absalon ! Absalon ! C’est le vent qui souffle la musique de Swans. Nos veines s’élancent et les cieux musicaux se déversent dans nos oreilles. C’est le chaos. Où est le commencement ? Et où est ce que cela termine ? Comme la course d’un colosse, les sons qui s’échappent de The Seer sont inexorables et sans limites. Sans commune mesure, les auditeurs n’en resteront pas indemnes.
Il y a deux éléments essentiels chez Swans : La puissance et la lenteur. Deux caractères cultivés tout le long de leur longue carrière qui sont ici sublimés. C’est l’acmé de la force et, comme dirait Marcel Kanche, le vertige des lenteurs.
Le penseur de cette infernale machine s’appelle Michael Gira. Il a reformé Swans il y a quelques années pour mettre sur bande ses idées et les sons qui hantaient son esprit. Il l’a dit « J’ai mis trente ans pour faire ce Cd ». Alors, lorsque Swans s’est séparé en 1997 quelque chose manquait à Gira. Le gout de l’inachevé le taraudait. Déjà en 1982, The Seer « le devin » fait son nid dans le creux de son âme. Et partout au fil de sa discographie les signes de la tempête à venir se faisaient sentir. Ainsi en 84 sur l’ep Young God le titre « I crawled » était déjà présent. « I Crawled » qui constitue désormais la deuxième partie du titre éponyme de The Seer. Jarboe, L’autre membre essentiel du groupe, qui avait quitté Swans au milieu des années 90 rejoint spécialement Gira pour l’aider dans la mise à bas.
A la fois concret et totalement abstrait, The Seer reprend les thèmes humains les plus importants : La mort, la destruction mais aussi la spiritualité. Le mysticisme et la folie sont aussi présents. Comme Dark Side, ce Cd est universel. Mais comment exprimer ces conceptions ?
J’étais donc debout dans ma chambre/salon/cuisine lorsque la lecture de The Seer s’enclencha. C’était le titre Lunacy. Ce fut une onde de choc. « Est-ce mon idéal musical ? » me demandais-je après quelques minutes d’écoute. Je me trainai jusqu’à une chaise. Le rythme obsédant et les incantations du titre d’introduction me transcendèrent. Cependant, mon mal de crâne revint vite, j’éteignis la lecture. La journée fut sadique. Je ne faisais que de penser à ce que j’avais entendu le matin. Pendant les trois heures de droit politiques, le plus insupportable, ce n’était ni la voix du prof ni ma gueule de bois, mais juste l’envie non satisfaite de vérifier et d’aller plus loin dans l’œuvre de Swans. Il faut dire qu’avant The Seer, je ne connaissais que très peu Swans. Surtout de réputation. Alors l’envie est vite devenue un besoin. C’est fou. Cela semblait devenir physique.
Dans le bus qui m’éloignait de la fac je me suis dit que je passerais bien vite fait chez Léa. Il devait avoir fini les cours lui qui était en manaa. Feignasse d’artiste. Il était alors 18h et notre émission commençait dans 4h. Je sonne à l’interphone : « C’est qui ?
- C’est moi
- ok »
A la fois exténué par ma nuit et ma journée, et heureux des évènements à venir, je montais les escaliers fébrilement quatre à quatre en manquant de me gaufrer à chaque enjamber. J’arrive devant sa porte « espace non-fumeur ». Elle s’ouvre. « Salut grand ! » je voulais juste préparer l’émission et rentrer chez moi. Nous nous installâmes dans ses canapés et décidons de la marche à suivre pour ce soir. « Le Three Way Jack numéro 5 sera un spécial shoegaze ! » me dit alors Léa les yeux brillants. Il commença à me lister des groupes :
- Yo la Tengo ou Dinosaur jr?
- Yo la Tengo
- Merchandise ou Wild Nothing?
- Wild Nothing
- Ride ou My Bloody Valentine?
- Les deux!
Et ainsi de suite. Finalement, en écoutant les guitares saturées du shoegaze j’oubliai peu à peu Swans. Si bien que lorsque Léa me proposa de rester manger chez lui j’acceptai. « Je vais te faire des protéines de soja avec du lait d’épeautre ». Au départ, je croyais qu’il se foutait de moi. Mais non, pas du tout. « Je suis végétarien, je ne supporte pas qu’on fasse du mal aux lapins ». Je restai silencieux quelques secondes… puis, je décidai que cela ne servait à rien de débattre de ça maintenant. Nous mangeâmes et bûmes plus que de raison. La chaleur (à la fois réelle et littéraire) de son studio me faisait du bien. Assis par terre « pour que la nourriture circule mieux » nous finîmes par déguster une fabuleuse goutte que son oncle fabriquait dans les granges de sa ferme perdu dans les vallées de Haute Saône. La soirée défila.  Finalement, vers 21h, on décida qu’il était temps d’aller prendre le bus :
« - T’as bien les clés ? Demandais-je
- Oui
- T’as pensé à prendre nos clés USB ?
- Oui, me fit il plus fort
- T’as…
- J’ai tout !
- Ok, ok… Tu sais, je suis toujours un peu tendu…
- T’inquiète grand »
Nous arrivâmes trois quart d’heure en avance dans les locaux de radio sud. Je relis mes notes, baisse et remonte ma braguette devant le micro (une idée fixe chez moi) et liste mes mp3. Je ne vois pas le temps passer, on prend l’antenne dans 5 minutes. « Dis-moi Léa, elle est où Bethany ? ». Petite panique. Mon portable sonne. C’est elle :
- Boys ! Je me suis trompée de bus ! Vous allez devoir commencer sans moi…
Bethany est l’animatrice, la technicienne et notre raison de vivre pendant ces deux heures à la radio. Léa pleurait (à chaude larme). « Mais qu’est-ce qu’on va faire !? ». Finalement, nous reprîmes nos esprits et apprîmes sur le tas à nous servir d’une console. « Alors… euh… là ça doit être le son de la console 1… » Ce fut un poil laborieux. On lança l’émission en montant tous les micros (dans le doute) : 
« - Bonsoir ! Vous êtes bien sur radio Sud. Vous écoutez Three Way Jack l’émission de rock indépendant ! Et de quoi on parle ce soir Léa ?
- Alors on vous a concocté un programme avec du pur shoegaze, du classique à la new wave shoegaze! Du son bien lourd que vous allez adorer. On va tout vous raconter de 91 à maintenant. Mais toute suite on s’écoute The Generationals avec leur titre U Say It 2 on se retrouve après ça avec le sommaire de ce soir»
On se frappa la main « Aw Yea ! ». Et pendant que Ted Joyner nous chante I can’t believe you say it too Léa et moi dansions comme jamais. Dans un état second, dans le studio, sur les chaises et puis sous la table. (Plus envie d’écrire quoique ce soit, je sors prendre l’aire, ça fait 3 siècles que je suis assis à ce bureaux pour écrire cinq lignes de merde… Il fait un froid de canard. Je me gèle. Je viens vraiment d’avoir une idée stupide. Un mardi soir, à 22h à Besançon, il ne se passe pas grand-chose. Un peu comme partout d’ailleurs. Je me dirige là où mes pas me mènent. Je passe dans les larges artères, et m’avance vers le Doubs, aux abords du quai je m’assois enfin. J’ai dans ma poche une lettre de la direction des douanes. Je l’ouvre, c’est un accusé de préinscription du concours externe pour l’emploi de contrôleur des douanes « Purée, faites que je le loupe ». Je regarde autour de moi quelques instants. Je suis vraiment seul. Le noir de la rivière est très beau en cette nuit d’automne. Et les murs bleus de la ville se reflètent avec les plus agréables des effets dans l'eau grâce aux nombreux projecteurs pointés sur les façades. Je reprends mon chemin et parcours cette fois ci des lieux plus fréquentés. D’abord une rangée de bar quasiment vide, puis un carrefour piéton déserté. Je me retrouve enfin sur la place des beaux-arts (ou de la révolution, ou du marché, je n’ai jamais su) Je croise une fille, elle me sourit. Je jubile intérieurement. Une foule de personne quitte un cinéma. Je vais à leur rencontre pour tenter d’accrocher des bribes de conversation et deviner le film qu’ils venaient tous de voir. J’ai rien entendu. Je continue mon chemin et passe devant le Kilarney. Ce pub irlandais est tenu par des voleurs. Ils vendent surement la bière le plus cher possible. Pour deux personnes, il faut prévoir facilement 15€. Lorsque j’étais en couple, le vieux aigri qui sert de patron a bien du empocher 50% de mon argent mensuel. La bière est y certes bonne, original et exotique mais quand même… Cela fait bien 1/2h que je suis dehors à me geler, je fais un dernier crocher par la rue Gambetta. J’entends d’ici Léa « t’écris le guide du routard de Besançon ? ». Je rentre enfin chez moi.) Bethany nous a rejoint, nous finissons la deuxième heure ensemble. On donne rendez-vous à nos auditeurs pour la semaine prochaine. Peut-être que cette fois ci ils seront plus de 30 ?
Il doit être un peu plus d’une heure du matin. Je viens juste de rentrer chez moi. Je lance enfin la lecture de The Seer. Ça faisait des siècles que j’attendais ce moment. Je m’enfonçai dans mon canapé/lit/bureau et l’écoutais pour la première fois en intégralité. De manière totalement passive. Qu’est-ce que ça fait du bien d’ailleurs ! Écouter un cd et rien d’autre ! Se laisser porter, déguster et vivre au rythme du talent des musiciens. C’est en tout cas ce que je comptais faire. Mais dès la rupture de la cinquième minute de mother of the world je me suis retrouvé à sauter sur ma table basse à faire du air guitare et bouger mon corps de la manière la plus absurde qui soit. Mon système nerveux, mes tripes s’étaient laissé aller à la rythmique diabolique des 15 premières minutes de The Seer. C’était juste incontrôlable. C’était plus fort que tout : la répétition du riff, la batterie martiale qui allaient au-delà de tous thèmes musicaux connus. Une transcendance pop sans limite. Jamais un coup de caisse claire ne m’avait autant enivré. Et lorsque le corps et l’esprit ont été suffisamment préparés et chauffés par de longues introductions instrumentales entêtantes, les voix de Jarboe et de Gira entament leurs incantations, leurs litanies. En plus d’être parfait dans la construction mélodique et rythmique, Gira franchit encore un palier avec des harmoniques juste sublimes dans la voix. Le titre Mother of the World est démentiel. Parfait. Après une écoute de ce titre, on est vidé. Presque épuisé. Ebahit par ce que l’on vient d’entendre. Comment avec deux accords Gira arrive-t-il à tenir cinq minutes avant le premier break ? Et pourquoi c’est juste génial ? En gardant une structure identique tout le long, Gira utilise le même procédé que James Murphy sur All My Friend. Petit parallèle avec la ligne de piano d’All My Friends. Gira prend ici une piste, la guitare, au départ agressif, désagréable. Il va la transformer en un élément essentiel de la structure en la rendant nécessaire à la cohérence des autres pistes. Puis, cette piste va devenir jouissive et va même devenir la première raison pour laquelle on secoue la tête : elle devient génial. Mais alors par quelle magie ? En rajoutant des éléments minimes par ci par là et uniquement temporaire. Ces pistes mineurs (appelons les mineurs, voulez-vous ?) accompagnent puis abandonne la structure originale. Dans ce chaos, les éléments essentiels demeurent et s’enrichissent après chaque passage d’une nappe mineure. Sans changer pour autant. Prenons l’exemple de la batterie après une intensité sonore maximale dans un morceau de rock quelconque pour comprendre ce phénomène. Regardons les Strokes. Voyez le tube The End has no End? Après le couplet du milieu (ou deuxième refrain) dans lequel Casablancas s’époumone et moretti envoie la sauce. Nous sommes en pleine fin de crescendo, c’est le climax du morceau. Et que ce passe-t-il à la seconde où cette explosion se termine ? On revient sur une rythmique seule. Quelque chose de simplissime et pourtant ! C’est bien ce passage qui procure le plus de sensation à l’auditeur. La rupture est totale, mais il retrouve le même motif rythmique qu’il entend depuis le début. Celui-ci revient comme élément stabilisateur après un crescendo. La répétition d’un thème majeur, c’est ça qui provoque le plaisir immédiat dans la musique moderne. Pour vous convaincre, écoutez le titre Dracula Cowboys. J’ai l’impression que ce titre a été créé pour illustrer ce phénomène… Aux ¾ du titre il y a une succession de ruptures avec à chaque fois un retour sur la même rythmique. Il n’y a pas plus transcendant. Et bien Gira utilise cette méthode en continu sur les cinq premières minutes du titre Mother of the World. Mais ce qui est dingue, après ce départ parfait, Swans part sur totalement autre chose. Break à faire pâlir de jalousie Portishead et la voix de Gira avec une mélodie obsédante.
Cette nuit-là, je me suis arrêté aux deux premiers titres. J’en avais eu largement assez. Moi qui me plaignais de toujours entendre les mêmes choses et de ne plus rien ressentir devant un titre de musique, j’étais servi : au bout de quinze minutes d’album j’ai dû me coucher pour évacuer le surplus d’émotion.

Je passe sur mes journées de cours sans intérêts. Sauf peut-être ce bon mot d’un ami en amphi : « tu vois la meuf las bas ? C’est un Pokémon croisé entre smogogo et gros tas de morve » J’ai bien ri.

Le soir arrivait enfin et je pouvais retourner à mon amour de Swans (je le jure ! je n’ai pas fait exprès). The Seer est un Cd de post rock. Expérimental parfois (les titres the wolf et 93 ave. B Blues) cinématique de temps en temps avec le titre éponyme mais surprenant, il l’est toujours. Ainsi, au début du deuxième cd, Swans invite Karen O pour interpréter un texte de Gira. La chanteuse punk des Yeah Yeah Yeahs surprend tout le monde ici. Le titre en question s’appelle Song For a Warrior. Exit le son puissant et inquiétant de Swans. C’est une vraie chanson folk qui dure moins de quatre minutes. La belle mélodie, les paroles poétiques et la voix douce de Karen O sont, en surface, les ingrédients principaux de cette réussite exploratoire du monde de la folk moderne. Mais ici, les types s’appellent Gira et Jarboe, se sont les leaders de Swans. Ils ne vont pas en rester là. Il n’y a pas de percussion sur ce morceau, c’est pourtant le plus percutant. Ici la guitare sèche frappe comme une massue. Elle est jouée en plaqué très sobre et chaque frottement de corde résonne en nous. Le rythme innocent ne peut cacher la force d’impact de cette guitare. Et que dire alors du piano ? Extrêmement syncopé, le piano assomme chaque fin de phrase par un accord appuyé sur lequel la réverbe est travaillé. L’ambiance est lourde. Noire et malsaine. Presque gênante. Pour leur première ballade, Swans frappe fort. La guitare et le piano sont accompagnés par des nappes abstraites et compactes distillés par les machines de Bill Rieflin.
Tout est question d’ambiance. L’atmosphère est extrêmement travaillée. La production de Gira est juste géniale. Rien n’est là au hasard. Ce violon ici et le violoncelle las bas sont présents pour construire, apporter une pierre à l’édifice gigantesque qu’est The Seer. On n’a pas à faire à une accumulation grotesque de pistes à la Ed Harcourt. Malgré la surcharge d’éléments, jamais Swans tombe dans la lourdeur, la bouillie, ou même pire, le « Musesque ».
Revenons à la forme de The Seer. Cet album se compose de deux Cds. Il a une durée totale de deux heures (tout rond). Le titre éponyme dure 32 minutes. Tandis que les deux derniers mouvements, A Piece of Sky et The Apostate font à eux deux plus de 42 minutes. C’est un format rare. 11 titres pour deux heures de musique. En 2000 Godspeed avec leur album Antennas avait fait 4 titres pour 90 minutes de musique. Je crois que ça reste un record à battre. Sur la pochette de The Seer on peut voir une espèce d’animal menaçant sur fond noir. Est-ce le devin ? La chose ressemble en tout cas à un chat mal coiffé après une opération des dents de sagesse ratée. Si je devais pointer un défaut ça serait peut-être l’artwork. Et encore, il y a un parti pris artistique et l’image ne peut laisser de marbre.
Le titre éponyme est une gigantesque cacophonie. Elle commence en faisant peur. Une nappe électro anxiogène de deux minutes s’étire sur l’introduction du morceau. Elle brise les oreilles. Envahit notre cerveau. Elle s’évanouit sur une double rythmique. A partir de là, Swans va construire un mouvement de post rock cinématique à la godspeed. De la mort du fracas épouvantable naît un des plus beaux passages de musique moderne. Et même, avant qu’il ne se soit totalement éteint, la nappe introductive se faisait écraser par la nouvelle structure en construction. Là se résume Swans. Au départ, on croit toujours à un morceau expérimental et pas écoutable. Mais à chaque fois des motifs nouveaux sont là pour émerger en « fade in ». Lentement, chaque titre sort du chaos pour plonger dans un fantastique océan de créativité sonore. Ainsi, Gira et ses compagnons créent l’attente. Ils nous attirent en même temps qu’ils ne repoussent. On veut tout écouter malgré la difficulté d’accès. Comme un examen, Gira teste les auditeurs pour voir s’ils sont aptes à apprécier leur musique.
Sur The Apostate, le morceau de conclusion, Swans est passionnant. Ils enchaînent ruptures et breaks pendant près de 23 minutes. Pas une seconde on songe à accélérer ou à changer de morceau. Tout s’enchaine si bien… pas un pont de trop, pas un accord de trop. Le morceau se termine quand il doit se terminer. Il passe par plusieurs climax et les musiciens se déchaînent  Ainsi le pont à la onzième minute est la parfaite transition pour la deuxième partie du titre. Ce pont binaire tape très fort mais de manière subtile. Une nouvelle fois, c’est une incantation. Un répit avant le déluge finale. Ces formats d’habitude réservés à l’instrumental pur sont avec Swans, toujours accompagnés par un vrai chant. Pas des vieux samples de voix comme on peut retrouver chez Mogwai ou World’s End Girlfriend. Mais un chant avec une mélodie qui contribue à chaque fois à la construction dans tous les domaines des structures de The Seer.
The Seer marque une rupture dans la musique moderne. Après avoir écouté cet album, les autres Cds me paraissaient encore plus fade qu’avant. Ne disons pas fade, mais plats. Les derniers Cold Showers, Beach House, the Cribs et Best Coast m’ont jamais autant ennuyé… L’expérience proposée par The Seer est tellement intense. Tellement forte. Tous les codes sont broyés. La masse de travail incroyable qu’a fourni Gira paye. Pourtant, il n’a pas la plus belle des voix… Mais ici, qu’importe. C’est l’ambiance, les sensations qui sont importantes. Les motifs et les voyages proposés.
Je ne sais pas si j’irai à un concert de Swans… Oserai-je ? Ce qui est sûr, c’est que j’ai encore envie de partir loin avec eux. Ils m’ont sauvé d’une dangereuse routine qui était en train de m’écœurer de la musique. J’ai retrouvé le plaisir de l’écoute. Le plaisir de déguster et d’en prendre plein la tronche et de faire des « woua » toutes les 30 secondes. Purée ! Ce que je suis heureux d’avoir mis la main dessus.
Dans quelques jours je quitte Besançon ! Je pars pour quelques jours à Paris pour le Pitchfork Festival. Sans Léa. Mais avec une envie décuplé d’écrire sur la musique. Enfin ! À moi the Walkmen, Chromatics, Grizzly Bear, DIIV et tant d'autre ! C’est sans doute la plus grosse affiche de musique indé de cette année. La route du rock avait aussi frappé fort, mais là, c’est juste exceptionnel. A très bientôt à Paris alors ?